Depuis le centre de télémarketing de Dakar, José Frèches s’attaque, dans ce roman, aux effets pernicieux de la mondialisation
Le Centre d’appel de José Frèches est un roman populaire social qui traite des effets pernicieux de la mondialisation. Pas la mondialisation que l’on découvre par le biais des journaux financiers et qui agite les courtiers en bourse, non : cette mondialisation d’en bas, celle qui, discrète, tapie à la lisière de notre quotidien, bouleverse notre rapport au monde et aux autres. Prenant appui sur l’exemple des Centres d’appel, que chacun de nous utilise sans trop réfléchir à leurs fonctionnements, José Frèches dresse un tableau cynique des mécanismes économiques globalisés, critique les rouages d’un système financier sans foi ni loi, régi par les règles implacables du marché, ranci par l’injustice, la folie et la volonté de puissance. Ce monde où, hic et nunc, nous vivons.
La jolie Constantine vit à la périphérie de Dakar, dans un bidonville, avec sa mère, ses frères et ses sœurs. Diplômée en économie, sérieuse, animée par la rage de s’en sortir, de gravir un à un les échelons menant au succès, elle vient d’être engagée comme stagiaire au centre de télémarketing de Dakar, symbole de la réussite économique du pays et où par milliers, les jeunes bac + 4 sénégalais viennent postuler. Elle fréquente Robert Ali, musulman pieux, brillant étudiant et orateur qui milite pour le renouveau du Sénégal et qui ne voit pas d’un très bon œil son entrée dans l’univers occidental capitaliste. Mais Constantine est pragmatique, gagner un salaire permettant de subvenir aux besoins de sa famille est sa seule ambition, alors elle va tenir bon, accepter la compétition avec ses collègues aux dents beaucoup plus longues, le stress et la pression constante de ses chefs, les avances du patron, courir après le rendement, vendre, vendre à tout prix, à n’importe qui, pour espérer, un mois peut-être, devenir la meilleure opératrice :
Il est vrai que, compte tenu des conditions de travail dans les centres d’appel dont il se dit de plus en plus que les opérateurs, (…), sont traités comme des esclaves, la moindre bourde doit coûter cher à son auteur. (…). Dans les centres d’appel, le flicage des opérateurs est permanent. D’impitoyables logiciels traquent les moindres faits et gestes de ces nouveaux forçats des temps modernes.
Un matin, son ordinateur choisira le numéro de téléphone de Luc Verchère, un jeune métis infirme qui se morfond dans sa banlieue parisienne de La Courneuve, et que Constantine va, de sa plus jolie voix, convaincre de signer une police d’assurance-vie. Chanceuse, elle réussira même le lendemain à le persuader de prendre rendez-vous avec Aimé, le commercial français de la société Aurore Assurance, lui aussi soumis à la pression constante du résultat, mais de plus en plus désabusé :
Sécurité, taux de rendement, avantages fiscaux, assurer des vieux jours confortables sont les mots clés de cette diplomatie dont je finissais par me rendre compte, au fur et à mesure de mon ancienneté, qu’elle était plus proche de l’arnaque que des discours de remise de créances des diplomates. (…). Qu’on le veuille ou non, vendre, c’est réussir à convaincre un cul-de-jatte d’acheter une paire de chaussures car tout client est un pigeon en puissance.
Fatalité, hasard ou nécessité, à la faveur d’un billet aller-retour pour Paris que Constantine va gagner, ces quatre protagonistes vont voir leur destin se croiser, leur vie converger vers un final tragique pour les uns, plus heureux pour d’autres :
- Allô, monsieur Verchère, je suppose. Avez-vous entendu parler de l’assurance-vie, monsieur Verchère ?
– Merci ! J’suis pas trop intéressé par tout ça !
J’ai raccroché.
On ne m’y reprendra plus.
Avec un peu de recul, finalement, moi non plus.
cedric beal
José Frèches, Le Centre d’appel, Le Diable Vauvert, mars 2006, 325 p. — 19,00 €. |
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