Les dilatations que la littérature érotique est censée provoquer n’ont rien à voir avec les fictions d’Emmanuelle Pol. C’est sans doute pour cela qu’elle refuse de se laisser enfermer dans le carcan du genre. Homme-corset, vert vieillard, docteur amoureux, femme fatale — sinon par dons du moins par jeux — déforment les idées reçues sans pour autant faire saillir du monstre. Les angles de distorsion proposés par l’auteure belge permettent de casser les stéréotypes hypocrites que l’idéologie fait porter au féminin. La notion de beauté en est donc modifiée.
Emmanuelle Pol rompt un ceintrage classique. Le physique féminin apparaît en termes étrangers, il se détache des lignes haricots verts pour montrer le vide des conformismes. Insolente, l’auteure donne au corps une insolvabilité qui néanmoins permet de nous dénouer de nos concepts. Le nouveau roman de l’artiste fait ainsi de son héroïne une insurgée presque malgré elle. Sans assise ou déboîté, le corps à la fois rentre en lui et en sort de manière intempestive. Il devient un indice agaçant, créateur d’ouverture par l’audace d’une écriture qui ne fait plus de la femme un simple support mais un manifeste de l’anti-conformisme autant du genre que de la vision de l’amour ou ce qui en tient lieu.
Dans cet univers, les personnages se dégagent de leur coque. La créatrice impose donc une autre histoire aux histoires avec une autre fin que celle d’une peau de chagrin — même si dans son dernier roman cela se complique un peu. Ce qui n’empêche pas de lire ces fictions afin de guérir du réel et prendre un peu d’altitude. Les blessures du réel ne demandent qu’à s’asseoir près de certaines héroïnes dans un besoin mélancolique de partager le chagrin du temps passé et de trouver dans leurs masques de reliques la vie cachée.
jean-paul gavard-perret
Emmanuelle Pol, Le prix des âmes, Editions Finitude, 2015, 192 p. — 17,00 €.