Couleurs, éclats, plis et rançons : la belle captive
Pour Faye, tout poème est la « rançon de l’éclat » afin que le « il » se retire et que le « elle » se retourne. Jusque là, cette « elle » est prise sous forme d’otage d’un pouvoir qui la dépasse. La « rançon » annoncée est ouverte par le livre lui-même : il est forcément plié comme le sont ses “couleurs”. Dessein et dessin ont donc partie liée. Le poème propose une vision particulière : la femme devient la métaphore de l’Histoire. L’inverse est vrai aussi même si a priori les hommes ont le droit de cuissage sur les évènements et leur narration.
Faye rappelle que la femme et l’histoire sont piégées par les couleurs que le mâle met dessus se croyant tailleur pour dames tout en n’étant souvent que boucher sanguinaire. Le temps ne fait rien à l’affaire. Il « bat au ventre » les femmes et autres « intouchables » de manière récurrente. Le poète le scande dans un livre ou les deux axes de lectures (deux parties horizontales et une centrale qui leur est perpendiculaires) permettent d’ouvrir une image latente de crucifixion.
Manière de dire que la poésie ne peut être que prise de peur face au « il » de guerre. La femme à l’inverse est poésie mais sa bouche voit ses lèvres coupées. C’est pourquoi à sa manière Faye les redessine, les ourle d’un projet qui fait de la « captive » le vrai projet humain : celui qui arracherait les grilles et les grillages et qui ouvrirait les pages d’un livre à venir, d’un livre impossible rêvé par Jabès et auquel Faye donne une forme particulière « liée au ventre » non maternel mais féminin.
En lui germe ce qui pourrait accorder une lumière à l’humain que, jusque là, le mâle « rançonneur » tient comme il tient les cordes de ce qu’il nomme beauté. A la rançon de sa propre gloire, Faye inscrit un démenti faisant du poème non une simple épreuve du sens (re-père) mais de la couleur pliée (matrice). A cette seule aune peuvent vraiment se parler la beauté et l’éclat si — le si est important — les livres de Faye étaient lus. Ce qui n’est pas le cas. La critique préfère le langage grillé et grillage à la « perfidia » que le poète propose en faisant de la poésie-femme sa seule « déesse ».
Il est donc temps de basculer dans un tel poème (enfin republié), avec ses « rebord de grès et d’herbe rouge dans ce qui est sans couleur », afin d’en finir avec les lances des terreurs. Faye n’écrit que pour retourner ces fers contre eux-mêmes dans l’espoir que l’Histoire trouve une autre voie.
jean-paul gavard-perret
Jean-Pierre Faye, Couleurs pliées, Notes de Nuit, Paris, 2015, 160 p.