Jean-Pierre Faye, Couleurs pliées

Couleurs, éclats, plis et ran­çons : la belle captive

Pour Faye, tout poème est la « ran­çon de l’éclat » afin que le « il » se retire et que le « elle » se retourne. Jusque là, cette « elle » est prise sous forme d’otage d’un pou­voir qui la dépasse. La « ran­çon » annon­cée est ouverte  par le livre lui-même : il est for­cé­ment plié comme le sont ses “cou­leurs”. Des­sein et des­sin ont donc par­tie liée. Le poème pro­pose une vision par­ti­cu­lière : la femme devient la méta­phore de l’Histoire. L’inverse est vrai  aussi même si a priori les hommes ont le droit de cuis­sage sur les évè­ne­ments et leur nar­ra­tion.
Faye rap­pelle que la femme et l’histoire sont pié­gées par les cou­leurs que le mâle met des­sus se croyant tailleur pour dames tout en n’étant sou­vent que bou­cher san­gui­naire. Le temps ne fait rien à l’affaire. Il « bat au ventre » les femmes et autres « intou­chables » de manière récur­rente. Le poète le scande dans un livre ou les deux axes de lec­tures (deux par­ties hori­zon­tales et une cen­trale qui leur est per­pen­di­cu­laires) per­mettent d’ouvrir une image latente de crucifixion.

Manière de dire que la poé­sie ne peut être que prise de peur face au « il » de guerre. La femme à l’inverse est poé­sie mais sa bouche voit ses lèvres cou­pées. C’est pour­quoi à sa manière Faye les redes­sine, les ourle d’un pro­jet qui fait de la « cap­tive » le vrai pro­jet humain : celui qui arra­che­rait les grilles et les grillages et qui ouvri­rait les pages d’un livre à venir, d’un livre impos­sible rêvé par Jabès et auquel Faye donne une forme par­ti­cu­lière « liée au ventre » non mater­nel mais fémi­nin.
En lui germe ce qui pour­rait accor­der une lumière à l’humain que, jusque là, le mâle « ran­çon­neur » tient comme il tient les cordes de ce qu’il nomme beauté. A la ran­çon de sa propre gloire, Faye ins­crit un démenti fai­sant du poème non une simple épreuve du sens (re-père) mais de la cou­leur pliée (matrice). A cette seule aune peuvent vrai­ment se par­ler la beauté et l’éclat si — le si est impor­tant — les livres de Faye étaient lus. Ce qui n’est pas le cas. La cri­tique pré­fère le lan­gage grillé et grillage à la « per­fi­dia » que le poète pro­pose en fai­sant de la poésie-femme sa seule « déesse ».
Il est donc temps de bas­cu­ler dans un tel poème (enfin repu­blié), avec ses « rebord de grès et d’herbe rouge dans ce qui est sans cou­leur », afin d’en finir avec les lances des ter­reurs. Faye n’écrit que pour retour­ner ces fers contre eux-mêmes dans l’espoir que l’Histoire trouve une autre voie.

jean-paul gavard-perret

Jean-Pierre Faye, Cou­leurs pliées, Notes de Nuit, Paris, 2015, 160 p.

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