On ne sait s’il faudrait à Schneider un Dieu à qui il pourrait dire merci : mais alors que tant de poètes ajoutent le froid au silence, pressant son front contre la vitre, l’auteur de La peinture et son ombre en a trouvé plusieurs : les peintres qu’on qualifiera comme ceux de « son regard » : Bazaine, Giacometti, Bram van Velde, Tal Coat, Ubac entre autres. Hôte de ces créateurs, il sait s’oublier pour mettre soigneusement ses pas dans les leurs.
Certes, ils n’ont pas a priori besoin de son essor mais ses analyses poétiques créent une vision particulière à leurs semaisons. En elles, la couleur de terre se transforme en or du ciel sans pour autant devenir éboulis de rêves ou de métaphysique. Surgit chez Giacometti un vide appeleur de tous les possibles. Chez Ubac, le cosmos et la terre germent et dansent. Avec Denise Esteban il y a des échanges, des déferlements, des tourbillons dans la saisie du souffle et de ses gouffres. Densifié par le réseau des signes lisibles surgissent chez de Staël des incandescences de rencontre aux imprévisibles retombées dans la nuit de l’esprit pour l’illuminer.
Jean-Claude Schneider accorde encore plus d’infini à de telles œuvres. L’art reste donc indispensable au projet de vivre et — ici — à l’acte d’écrire. La poésie prend une autre dimension en portant une attention serrée aux images. Elles-mêmes densifient le réseau de leurs signes et proposent des disponibilités adjacentes. Contre la disgrâce de l’esthétisme et la répudiation de la beauté, Schneider refuse de substituer une œuvre à un concept. Il prouve aussi que la peinture et le meilleur antipoison au règne des idéologies qui en sont pourtant le fruit.
Preuve que le travail de création n’est pas simple : il fait sortir de ce carcan — par ce que Novarina nomme « un lent et inépuisable exercice d’imbécillité ». Ce qui n’empêche pas l’intelligence face à l’intellectualisme forcené et terroriste pour lequel l’art suppose des notices explicatives afin d’en comprendre le but. L’art y perd toute valeur directe, émotive.
jean-paul gavard-perret
Jean-Claude Schneider, La peinture et son ombre, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2015, 202 p. - 20,00 €.