Celui que « la route mène au prodige » : entretien avec le poète Michel Dunand

Entre­tien avec le poète Michel Dunand :

Qu’est-ce qui vous fait lever tôt le matin ?

La poé­sie.
D’un côté, la revue que j’anime depuis 30 ans : « Coup de Soleil », poé­sie et art.94 numé­ros parus. Numé­ros thé­ma­tiques consa­crés à des poètes de renom : Lucien Becker, Michel Butor, Mar­cel Béalu, Jean-Vincent Ver­don­net, Jacques Ancet, Marc Alyn, Michel Manoll, Pierre Gabriel, Serge Brin­deau… De l’autre, la « Mai­son de la Poé­sie » d’Annecy, fon­dée par mes soins en 2007.Quatre expo­si­tions par an.Cinq ou six soi­rées (musique et lit­té­ra­ture). Publi­cité, demandes de sub­ven­tions… Je ne chôme pas. Néan­moins, cer­tains l’oublient, je suis poète avant tout.Dix recueils publiés, une ving­taine de livres et tra­vaux d’artistes, un CD. Poèmes tra­duits dans une dou­zaine de langues ; mon tra­vail voyage éga­le­ment. Cer­tains de mes textes ont été mis en musique, ils sont chan­tés (CD à paraître). Il y a le réci­tant. La voix. Van Gogh est au pro­gramme, en 2016 : « Lettres à son frère Théo ». Je vais me régaler.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?

Mes rêves se sont concré­ti­sés, mais à petite échelle, et cela vaut mieux. Je crains d’avoir, comme on dit, « la grosse tête », ou d’arriver à mes fins.
Je pré­fère être en che­min.
Il faut savoir, qu’outre le rêve d’être écri­vain, j’ai caressé celui de deve­nir ber­ger, moine, artiste ou direc­teur de cirque, et très fran­che­ment, je crois que je suis un peu tout cela. Sans plus.

A quoi avez-vous renoncé ?

A rien. Soif intacte, hélas.
Ceci dit, je crois aux valeurs d’antan.
J’ai un côté che­va­lier.
Quête du Graal…

D’où venez-vous ?

« Je viens du cœur ». Michel Dunand. In « Sacre ». Jacques André édi­teur. 2010.

Qu’avez-vous reçu en dot ?

Mes grands-parents étaient pay­sans.
Je leur dois d’être patient, per­sé­vé­rant.
Mon père m’a légué le goût de la vraie liberté, de la sim­pli­cité, ma mère celui du secret, de la cour­toi­sie, de la diplomatie.

Qu’avez-vous dû « pla­quer » pour votre travail ?

Le quo­ti­dien.
La vie, façon Gabriel Cou­sin.
La vie, dite « ordinaire ».

Un petit plai­sir – quo­ti­dien ou non ?

Boire un café dans un café.
Je songe à la bras­se­rie de mon père (en mai­son de retraite, à l’heure actuelle) — évi­dem­ment. Le « bar des deux ave­nues » (l’enseigne est élo­quente, à maints égards) est tou­jours là.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écrivains ?

Je suis mal placé pour répondre.
Et puis, que d’auteurs à décou­vrir, encore !

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous interpela ?

Une affiche de cirque ou de cinéma.

Et votre pre­mière lecture ?

Pre­mières lec­tures « sérieuses » :
— « Les ami­tiés par­ti­cu­lières » (Roger Pey­re­fitte), « Le ventre de Paris » (Emile Zola), « Le Grand Meaulnes ».

Pour­quoi votre atti­rance vers le voyage ?

Par­tant moins, j’emploie le passé.
Voya­ger m’a sauvé.
Sur de nom­breux plans.
Sans par­ler de ma poé­sie.
Comme étouf­fante, étouf­fée (« Der­nières nou­velles de la nuit »,1989, « Péril en l’ocre jaune », 1993).
« La route mène au pro­dige », écrit Jean Mal­rieu.
C’est une reli­gion.
Le voyage. « Un acte fon­da­teur », nous confie de son côté Sébas­tien Jal­lade, auteur de « L’appel de la route / Petite mys­tique du voya­geur en par­tance ». Il faut bien un livre, ou plu­sieurs, soit dit en pas­sant, pour répondre à la ques­tion posée ci-dessus. « C’est une porte ouverte que les adeptes des miracles péré­grins d’aujourd’hui tentent déses­pé­ré­ment de conser­ver, tant toute forme de créa­tion et de pen­sée, sans dire notre essence, s’est construite dans la confron­ta­tion à l’inconnu » .(Jal­lade).
Je sous­cris tota­le­ment.
L’enfermement nous guette, et par­fois depuis tou­jours.
Deux évé­ne­ments pour conclure.
Ils ont illu­miné très régu­liè­re­ment, chaque année, me réveillant aux aurores, une enfance assez soli­taire, iso­lée (je ne quit­tais guère un coin de cour à galets japo­nais), cer­née par une pois­son­ne­rie et la bras­se­rie des parents :
— l’arrivée du cirque à Annecy, camions bario­lés d’animaux afri­cains, de magi­ciens, de clowns, de super­la­tifs
— la tra­ver­sée de mon quar­tier par les trou­peaux trot­ti­nant vers les alpages, ou de retour.

Le voeu de par­tir, déjà…
Le vent de l’ailleurs !

Quelles musiques écoutez-vous ?

Fer­rat, Ferré, Paco Iba­nez (trois grands ser­vi­teurs de la poé­sie).
Cesa­ria Evora. Musiques de jazz.
Côté clas­sique : Fauré, Bar­tok, Mes­siaen, Dusapin…

Quel est le livre que vous aimez relire ?

Terre des hommes (Saint-Exupéry) ?
Un de Bau­mugnes (Giono) ?
Noces / L’été (Camus) ?

Quel film vous fait pleurer ?

« Les rai­sins de la colère ».
Les films tirés des romans anglais signés Jane Aus­ten, les soeurs Brontë,
Tho­mas Hardy.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?

Je vois beau­coup de monde.
Trop de monde.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?

A la pre­mière jeune fille dont je suis tombé très amou­reux ; à d’autres, par la suite.

Quel ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

Cha­mo­nix, Zermatt.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?

Jean Mal­rieu, Jean Ori­zet, René Guy Cadou, Jean-Pierre Lemaire, Anne Per­rier, Nazim Hik­met, Anna Akh­ma­tova, pour ne citer que des poètes.
Van Gogh, Bon­nard, Hop­per, pour ce qui est de la peinture.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anniversaire ?

Une sur­prise.

Que défendez-vous ?

La rose.
Entre autres…

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ?

«  Qu’est-ce que l’amour ? »

Cette ques­tion me hante, et conti­nue de me faire avan­cer. Les réponses, elles, me laissent géné­ra­le­ment sur ma faim.

Elles ne pèsent guère, à mes yeux.

« L’Amour » — avec un grand A, qui me gêne un peu, dans un pre­mier temps — « c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » écrit Lacan.

Lacan, pas n’importe qui, donc.

Oui, bien sûr.

Ah ! Werther…

Alain Borne, et tant d’autres !

Alain Borne et nous tous, peut-être,

à des degrés divers.

«  L’Amour… ».

Oui, bien sûr. Mais aussi ?

Sur­tout ?

Mais encore !!!

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle est la question ? »

Sou­ve­nirs.
Sou­ve­nir d’un « oui » qui cache un « non ».
Sou­ve­nir d’un « non » qui cache un « oui ».
Que vaut mon « oui » ? Mon « non » ?
Manque d’écoute.
Est-ce que je m’écoute ?
Est-ce que j’écoute assez ?
La pluie, le vent, la mer, les cigales.
Autrui…
Bon à pré­sent, sou­rions donc sans état d’âme avec le grand Woody Allen. « Une jour­née où l’on n’a pas ri est une jour­née per­due » (Le Dalaï Lama).

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?

Que voyez-vous, quand vous tra­ver­sez votre miroir ?
Qui voyez-vous ?
Mais je crois avoir répondu.
Plus ou moins. Comme souvent.

Entre­tien réa­lisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 17 juillet 2015.

PS. Michel Dunand est aussi l’infatigable direc­teur de la revue “Coup de Soleil” et de la Mai­son de la Poé­sie d’Annecy.

 

 

 

 

2 Comments

Filed under Entretiens, Poésie

2 Responses to Celui que « la route mène au prodige » : entretien avec le poète Michel Dunand

  1. Villeneuve

    Avec une telle dot paren­tale , le poème réponse sur l’attirance du voyage et les riches heures des autres ques­tions vous attei­gnez mon­sieur Michel Dunand le grand œuvre de la vie poé­tique ! Merci aussi au sieur JPGP de poser les sujets pertinents .

  2. Hélène

    je suis ravie de voir que tu as enfin les résul­tats méri­tés pour ton talent et ton dévoue­ment à la poé­sie et à ses ama­teurs .
    J’ai tant de sou­ve­nirs : je conseille­rai à cha­cun d’assister sou­vent aux mani­fes­ta­tions de la ” mai­son de la Poé­sie ” d’Annecy
    de te lire, aussi … ami poète ainsi que tous les poètes que tu sais choi­sir et mettre en valeur

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