Liam McIlvanney, Là où vont les morts


L’envers du décor à Glasgow

L’auteur qui a déjà signé le remar­quable Les cou­leurs de la ville (Métai­lié, 2010) où il confron­tait ce même héros à la vio­lence des magouilles poli­tiques et de l’intolérance reli­gieuse, revient avec en toile de fond, la cri­mi­na­lité triom­phante dans Glas­gow et la crise de la presse. Il monte une intrigue mus­clée et dépeint l’atmosphère d’une l’Écosse qui, dans sa majo­rité évo­lue de plus en plus vers un natio­na­lisme actif, qui est ten­tée par une indé­pen­dance totale. Il brosse le cli­mat d’une cité où la cri­mi­na­lité a tou­jours été très active et les luttes meur­trières pour les ter­ri­toires et le contrôle des mar­chés illé­gaux sont monnaie-courante. Il éla­bore de superbes por­traits de ces indi­vi­dus, détaillant leurs modes de fonc­tion­ne­ment, expli­ci­tant leurs démarches et leurs moti­va­tions.Une femme, dans une chambre d’hôtel, se pré­pare à accom­plir un acte ter­rible. Gerry Conway est jour­na­liste au Tri­bune on Sun­day de Glas­gow. Parti quelques années, il est revenu dans la rédac­tion. Mais les chan­ge­ments sont pro­fonds. Il n’est plus le jour­na­liste vedette. C’est son pro­tégé, Mar­tin Moir qui, en tant que rédac­teur en chef du ser­vice Enquêtes, fait les unes. Gerry remâche son spleen, consta­tant que le métier de jour­na­liste, tel qu’il le conçoit, n’existe plus dans la presse écrite. Un joueur de foot­ball, est assas­siné pen­dant un match. C’est le neveu d’un des deux caïds qui contrôlent les acti­vi­tés délic­tueuses de la ville. Il y a quelques années, une guerre entre les deux groupes avait fait de nom­breux morts. Moir est absent et demeure introu­vable. Gerry se rend sur les lieux du meurtre. Avec le témoi­gnage, oné­reux, d’une femme qui lui raconte la scène, il apprend que le tueur, un homme, por­tait une capuche et une cas­quette de base­ball. Et le corps de Moir est retrouvé, dans sa voi­ture, au fond d’une ancienne car­rière inon­dée. Ce n’est que très tar­di­ve­ment que Gerry découvre, sur son télé­phone por­table, un texto de Mar­tin par lequel celui-ci annonce sa volonté de se sui­ci­der. Or, ce n’est pas son style d’expression. Deux poli­ciers, en l’interrogeant parce qu’il était proche du mort, lui révèlent que Mar­tin avait les poi­gnets liés à son volant. La thèse du sui­cide ne tient plus et Gerry va plon­ger dans les bas-fonds de la ville, renouer avec son passé de jour­na­liste d’investigation jusqu’à…

Une large part du récit porte sur le jour­na­lisme, sur son évo­lu­tion compte-tenu des muta­tions sociales et tech­no­lo­giques. Les lec­teurs vont vers de nou­velles formes média­tiques. Aussi, pour durer, il faut don­ner des infor­ma­tions dont ils sont friands. Exit les repor­tages de fond pour appor­ter une infor­ma­tion véri­table. Le concept des tabloïds gagne tous les médias : “Le Cel­tic contre les Ran­gers. Neil contre Walsh. Les guerres tri­bales de la ville, sur le ter­rain et dans la rue. C’était notre fonds de com­merce. L’intolérance reli­gieuse et la vio­lence. Le foot­ball et le crime.” C’est le règne du banal fait divers converti en cause natio­nale, en fait d’une société entière. C’est le déploie­ment de l’information brute livrée très rapi­de­ment, sans recul, sans ana­lyse.
Avec Gerry, l’auteur pro­pose un héros à la forte empa­thie dont on découvre peu à peu le che­mi­ne­ment per­son­nel et pro­fes­sion­nel depuis la fin du roman pré­cé­dent. Liam McIl­van­ney met à pro­fit, avec art et finesse, le délai entre la paru­tion des deux livres comme une paren­thèse dans la vie de son héros. Il l’entoure d’une gale­rie de per­son­nages attrac­tifs, que ce soit dans le milieu du jour­na­lisme ou dans celui de la police et du crime.

Gerry lui offre la pos­si­bi­lité d’un témoi­gnage pré­cieux sur le jour­na­lisme, évo­lu­tion qui s’applique à tous les pays, sur une Écosse en pleine évo­lu­tion et sur une muta­tion socié­tale que l’on peut accep­ter avec plai­sir ou regret­ter pro­fon­dé­ment.
Avec ce livre, l’auteur offre un récit pro­fond et une his­toire attractive.

serge per­raud

Liam McIl­van­ney, Là où vont les morts ( Where the Dead Men Go), tra­duit de l’anglais (Écosse) par David Fau­quem­berg, Édi­tions Métai­lié, coll. Noir, mai 2015, 352 p. – 20,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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