A travers le destin de trois soeurs issues d’une famille de huit enfants, Bi Feiyu dresse une véritable satire sociale de la Chine
Tribulations de Chinoises en Chine
Bi Feiyu est sans nul doute un magicien des mots. D’une histoire simple de trois sœurs nées à la campagne dans une Chine alors sous la férule de Mao, il réussit à construire trois histoires que le lecteur prend plaisir à lire. Il décrit en toute simplicité leur quotidien, leur évolution, leur prise de conscience et leur vie dans un contexte où elles n’étaient sans doute pas destinées à réussir.
Yumi, Yuxiu et Yuyang sont sœurs et ont pour père Wang Lianfang, le secrétaire du Parti de leur village. Dans cette famille de huit enfants — dont seul le petit dernier est un garçon — Yumi est l’aînée, Yuxiu, la troisième et Yuyang, la septième et dernière fille… avant le fils. Volage et peu discret, Wang Liangfang use de sa position professionnelle pour multiplier les maîtresses au vu et au su de tous. C’est alors Yumi qui assume les charges familiales. Jusqu’au jour où la disgrâce et la honte s’abattent sur sa famille : son père est pris en flagrant délit d’adultère avec la femme d’un soldat de l’Armée rouge, crime suprême à cette époque. Deux de ses sœurs, dont la jolie et délurée Yuxiu, se font violées par les hommes du village ; son fiancé, pilote de l’armée, la quitte après de fausses rumeurs que les villageois onr répandu sur son compte. Yumi est alors tout aussi déshonorée que son père.
Elle finira par quitter son village et épouser un homme plus âgé qu’elle, un veuf nommé Guo Jiaxing, vice-président du Comité révolutionnaire et responsable des milices populaires à l’échelle communale, avec qui elle aura une fille. Sa sœur Yuxiu la rejoindra, et après avoir été la confidente de la fille de son beau-frère, donnera un garçon au fils de celui-ci. Soldat, il ne le saura jamais et Yumi, se sentant humiliée, ne permettra pas à sa sœur de garder son fils. Yuyang, quant à elle, confiée enfant à ses grands-parents, rentre à l’Ecole normale — marque de prestige et de réussite sociale. Elle, la paysanne, y connaîtra ses premières humiliations et désillusions, un chagrin d’amour et aussi ses premiers émois sexuels et son entrée dans l’océan infini du peuple.
Au-delà de ce portrait de famille en trois actes, l’auteur nous dresse une véritable satire sociale de la Chine, courant de la fin des années 70 au début des années 80 — juste avant la nouvelle Révolution culturelle et la pénétration des idéaux et produits culturels occidentaux. Les références à Mao sont ici récurrentes. Mais Bi Feiyu, par son écriture très simple, aisée à lire, entraîne le lecteur dans les pérégrinations de trois sœurs que leur caractère oppose mais qui, par leur courage et leur obstination, parviennent à quitter leur village pour la ville. Toutes trois ont su forger leur destin dans une Chine où elles étaient presque “condamnées” aux travaux des champs, et ce avec la truculence des mots de l’auteur.
Découvrez le portrait familial de trois femmes aux destins divers mais à la volonté indéfectible. Laissez-vous guider par Bi Feiyu, véritable poète, et évadez-vous dans un pays dont l’histoire a marqué la vie culturelle et politique du XXe siècle comme aucun autre. Bienvenue dans l’Empire du Milieu.
violaine cherrier
Bi Feiyu, Trois sœurs (traduit par Claude Payen), Philippe Picquier, janvier 2005, 346 p. — 20,00 €. |
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