Jacques Réda, Des écarts expérimentaux

Impasse de l’écriture plus que du temps

Après avoir arpenté le bitume en pro­me­neur des deux rives, Réda s’aventure dans le cos­mos. A l’infiniment petit fait place l’infiniment grand. Fidèle à sa proxi­mité avec la science et une forme de méta­phy­sique, le poète s’aventure dans des che­mins où l’expérimentation est plus dis­cur­sive que poé­tique.
Certes, on ne prête qu’aux riches : Réda a — comme l’on dit — « la carte » (et pas seule­ment du ciel) si bien qu’il béné­fi­cie d’une marge de bien­veillance. Elle peut paraître néan­moins dou­teuse tant ses spé­cu­la­tions peuvent paraître super­fé­ta­toires. Certes encore, le Temps règne en maître et sans crainte : « De quoi aurait-il peur, lui ce tout-puissant qui pré­side à la for­ma­tion comme à la ruine des galaxies et de nos empires ? » écrit Réda. Lequel se plaît à hypo­sta­sier sur son enli­se­ment, son arrêt ou son accé­lé­ra­tion. Cela peut lais­ser rêveur. Mais tout autant ennuyer : « Peut-on poser avec sérieux la ques­tion de savoir com­bien de temps le temps met pour se rendre d’un point du temps à un autre ? » ajoute-t-il. Le lec­teur a envie de répondre non.

Même si le poète fait retour dans ses péré­gri­na­tions au réel, son expé­rience reste pur jeu de l’esprit. L’émotion demeure à la porte du poème car elle se bloque à la porte de l’existence. Réda tente bien d’évacuer le lyrisme mais il manque à un tel livre la puis­sance des poètes plus « illi­sibles » : Artaud, Beckett, Guyo­tat et tous ceux pour les­quels l’expression est arra­chée, ne va pas de soi. Le monde se limite pour Réda bien plus à un espace d’aventure qu’un choix de voyage inté­rieur et un élan de langue qui se crée dans le repli, la marée basse, la vue basse.
On pré­fè­rera la poé­sie qui se situe dans l’impossibilité d’écrire et l’impossibilité de ne pas écrire, de vivre et de ne pas vivre dans un lami­nage continu, his­toire de ne pas s’installer de grandes orgues ou le gran­diose. Il convient de pos­tu­ler l’élan muet, le désir, la ligne bri­sée de suc­ces­sions de ten­ta­tives et de reprises plu­tôt que bas­cu­ler en ces vac­ci­na­tions sans grand intérêt.

jean-paul gavard-perret

Jacques Réda, Des écarts expé­ri­men­taux, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2015.

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