Impasse de l’écriture plus que du temps
Après avoir arpenté le bitume en promeneur des deux rives, Réda s’aventure dans le cosmos. A l’infiniment petit fait place l’infiniment grand. Fidèle à sa proximité avec la science et une forme de métaphysique, le poète s’aventure dans des chemins où l’expérimentation est plus discursive que poétique.
Certes, on ne prête qu’aux riches : Réda a — comme l’on dit — « la carte » (et pas seulement du ciel) si bien qu’il bénéficie d’une marge de bienveillance. Elle peut paraître néanmoins douteuse tant ses spéculations peuvent paraître superfétatoires. Certes encore, le Temps règne en maître et sans crainte : « De quoi aurait-il peur, lui ce tout-puissant qui préside à la formation comme à la ruine des galaxies et de nos empires ? » écrit Réda. Lequel se plaît à hypostasier sur son enlisement, son arrêt ou son accélération. Cela peut laisser rêveur. Mais tout autant ennuyer : « Peut-on poser avec sérieux la question de savoir combien de temps le temps met pour se rendre d’un point du temps à un autre ? » ajoute-t-il. Le lecteur a envie de répondre non.
Même si le poète fait retour dans ses pérégrinations au réel, son expérience reste pur jeu de l’esprit. L’émotion demeure à la porte du poème car elle se bloque à la porte de l’existence. Réda tente bien d’évacuer le lyrisme mais il manque à un tel livre la puissance des poètes plus « illisibles » : Artaud, Beckett, Guyotat et tous ceux pour lesquels l’expression est arrachée, ne va pas de soi. Le monde se limite pour Réda bien plus à un espace d’aventure qu’un choix de voyage intérieur et un élan de langue qui se crée dans le repli, la marée basse, la vue basse.
On préfèrera la poésie qui se situe dans l’impossibilité d’écrire et l’impossibilité de ne pas écrire, de vivre et de ne pas vivre dans un laminage continu, histoire de ne pas s’installer de grandes orgues ou le grandiose. Il convient de postuler l’élan muet, le désir, la ligne brisée de successions de tentatives et de reprises plutôt que basculer en ces vaccinations sans grand intérêt.
jean-paul gavard-perret
Jacques Réda, Des écarts expérimentaux, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2015.