Douglas Kennedy, Les charmes discrets de la vie conjugale

Un long roman qui se lit bien et dis­trait effi­ca­ce­ment le temps de sa lecture

Douglas Ken­nedy serait-il un nou­veau Flau­bert ? C’est en tout cas ce que pré­tendent cer­tains cri­tiques qui n’hésitent pas à com­pa­rer l’héroïne des Charmes dis­crets de la vie conju­gale à une Emma Bovary des temps modernes. D’autres trou­vailles jour­na­lis­tiques asso­cient Ken­nedy à Sin­clair Lewis, ou l’estiment plus sai­sis­sant que Bret Eas­ton Ellis… etc.
Le livre qui, après avoir été annoncé par des pan­neaux publi­ci­taires dans le métro, trône parmi les meilleures ventes à la Fnac, est donc un suc­cès cri­tique et public. L’auteur a d’ailleurs déjà eu droit à l’appellation “écri­vain culte”, c’est dire.

L’his­toire est assez simple. Han­nah, fille d’un uni­ver­si­taire contes­ta­taire et d’une artiste peintre new-yorkaise, brille par sa fri­lo­sité. Au lieu d’incarner l’esprit contes­ta­taire de l’Amérique des années soixante, elle pré­fère épou­ser son terne petit ami méde­cin (l’intertextualité avec Madame Bovary serait-elle là ?) et aller s’enterrer dans une petite ville de pro­vince. Un ins­tant de fai­blesse l’amène à trom­per son mari mais elle a tôt fait de battre sa coulpe et de reprendre sa vie étri­quée. Trente ans plus tard, avec le 11 sep­tembre sur­vient le temps du doute, de la remise en ques­tion, de la sus­pi­cion (qua­trième de cou­ver­ture).
Han­nah, deve­nue ensei­gnante, est mère de deux grands enfants : son fils est un catho­lique inté­griste pro-Bush et sa fille, une jeune cadre bor­der line qui fré­quente les salles de gym et se nour­rit de sushis. Suite à un cha­grin amou­reux, celle-ci dis­pa­raît… Au cours d’une (trop) longue enquête sur les traces de sa fille, Han­nah découvre la fra­gi­lité du monde qu’elle s’est construit par peur. L’erreur com­mise dans le passé resur­git et Han­nah devient une bête noire pour les repré­sen­tants bien-pensants d’une société aveu­glé­ment conformiste.

Le roman de Dou­glas Ken­nedy est effi­cace, sans aucun doute. Tout est sacri­fié à l’intrigue : les dia­logues sont amu­sants comme dans une série télé de qua­lité moyenne, aucune des­crip­tion n’entrave le fil du récit — deux trois phrases suf­fisent en géné­ral pour bros­ser les per­son­nages et les lieux -, les péri­pé­ties s’enchaînent, on y trouve même quelques moments d’émotion bien pla­cés. Le por­trait des États-Unis se veut cor­ro­sif ; l’actuel pré­sident y est clai­re­ment vili­pendé ainsi que la société de consom­ma­tion qui pro­duit des obèses et le goût du spec­tacle qui enlève toute dignité à l’information, à la dou­leur ou à la tra­gé­die.
Bien sûr, si ce roman n’était pas expli­ci­te­ment un pro­duit consen­suel des­tiné à dis­traire, on pour­rait lui repro­cher ses sté­réo­types, son écri­ture stan­dar­di­sée et sa com­plai­sance. Il offre de l’Amérique bushienne la vision sim­pliste atten­due : son contenu appa­raît donc, de ce côté-ci de l’Atlantique, aussi consen­suel que ce qu’il dénonce par ailleurs.
Néan­moins, si le pavé de Ken­nedy n’est ni le brû­lot annoncé par cer­tains jour­na­listes ni une trou­vaille en fait d’écriture, reconnaissons-lui une qua­lité : il se lit bien…

sarah cil­laire

Dou­glas Ken­nedy, Les charmes dis­crets de la vie conju­gale (tra­duit de l’américain par Ber­nard Cohen), Bel­fond, octobre 2005, 525 p. — 21,00 €.

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