Le conditionnement, toujours le conditionnement !
Quelle que soit la forme qu’il prend, il garde la même efficacité. Fred Duval et Jean-Pierre Pécau retiennent un moyen qui a fait les beaux jours de la Science-Fiction et le proposent dans le cadre renouvelé d’un thriller d’une remarquable noirceur.
En 1983, dans une rue de San Francisco, c’est un véritable massacre que découvrent l’inspecteur Spadaccini et ses hommes. Neuf personnes ont été abattues en un temps record. L’inspecteur repère un toit qui semble le lieu de tir idéal. Sur place, il trouve neuf douilles disposées sur le sol en formant la lettre grecque alpha. Le tueur remet ça deux jours plus tard pour neuf victimes. Le calibre des douilles, d’un format très spécial, est le même que celui utilisé par Lee Oswald sur John Kennedy. Bien qu’excellent flic, Spadaccini est mis en congés après la mort d’un suspect surnommé Le Chasseur.
Le tome 2 s’ouvre alors que l’inspecteur demande de reprendre le travail et poursuivre son enquête. Son chef lui dresse le bilan mitigé de ses actions, énumérant les faits incontrôlables et les coïncidences qui ont jalonné son enquête. Sortant du bureau, l’inspecteur se rend à l’enterrement de Bob Archer, l’assistant du procureur de San Francisco, mort dans des circonstances mystérieuses. Celui-ci s’était remarié avec l’ex-épouse de Spadaccini et a élevé son fils. Bob, avant de mourir, lui avait confié des documents concernant une organisation appelée Le Collège invisible, Collegia occulta, documents qui ont été volés depuis dans l’appartement de l’enquêteur.
L’inspectrice Osterberg, nouvellement arrivée, reprend l’enquête avec une photo où neuf hommes sont disposés en alpha devant une maison de forme peu commune qui pourrait être en Europe. En sortant du cimetière, il est abordé par un homme qui lui propose de lui en dire plus sur les liens entre Bob et Le Collège invisible, un homme qui se fait appeler Le Fantôme. Il va révéler à l’inspecteur un certain nombre d’informations…
Fred Duval et Jean-Pierre Pécau reprennent les codes du polar noir pour structurer un scénario à l’action soutenue et puissante, qui mêle organisation secrète, conditionnements d’individus, passé ancien oublié, ou occulté, et dysfonctionnements des manipulations. Ils basent une partie de leur intrigue sur des expériences destinées à améliorer les capacités des individus, en particulier des soldats. Pour renforcer le tout, ils établissent des liens avec l’assassinat de John Kennedy, avec les intrigantes questions jamais résolues tant sur les véritables motifs que sur la personnalité des commanditaires et du ou des tueurs.
Ils proposent un scénario solide, une histoire qui se densifie singulièrement dans ce second tome. Peu avares de dialogues denses et d’explicatifs détaillés, ils offrent, servie par une écriture tonique, une trame narrative qu’il faut suivre avec attention. Cela change, et c’est heureux, de ces planches aux dialogues simplistes, voire minimalistes qui prennent l’excuse de l’image qui doit apporter les compléments. Concrètes, compressées, les informations, les données fusent et l’action les accompagne. Chaque élément de l’enquête, chaque événement apportent une révélation tant sur la mystérieuse origine des tireurs, sur une organisation secrète, que sur Spadaccini lui-même. Ils malmènent leur héros, surnommé Wonderball du nom de ces friandises pour enfants dont il raffole, ces boules chocolatées qui contiennent des petits personnages à monter en deux ou trois mouvements.
La mise en scène et la mise en page de Colin Wilson procurent une excellente lisibilité malgré la densité des bulles. Le dessinateur allie réalisme, souci du détail et plans d’ensemble avec brio. Il donne à ses personnages un côté mystérieux qui s’accorde bien avec l’atmosphère de l’histoire.
Après un remarquable premier tome, les auteurs hissent encore le niveau faisant espérer une fin superbe de la trilogie.
serge perraud
Fred Duval & Jean-Pierre Pécau (scénario), Colin Wilson (dessin), Jean-Paul Fernandez (couleur), Wonderball, t.2 : “Le Fantôme” Delcourt, coll. “Série B”, mars 2015, 56 p. – 14,50 €.