Les « vrais » galeristes sont de plus en plus rares. Cela se vérifie à Paris et qui plus est en province où un tel engagement tient du sacerdoce. Certains petites villes toutefois s’enorgueillissent de « créateurs » d’artistes. Chambéry fait partie de ces exceptions. Christophe Mottet impose sa « vue de l’esprit » sans la moindre concession à un art de décoration ou d’amusement. Il défend des œuvres qui nourrissent sa propre recherche sur le temps, l’espace, leur vide, l’effacement. Théodore Mann est le jeune créateur que la galerie représente avec force. Souvent sur un support non vierge (page de cahier ou de livre), l’artiste tarit les possibilités de lecture afin de faire surgir un autre espace. Il y a à la fois scission, biffure au profit d’une autre forme d’injonction intempestive. Sur le plan, l’image fantôme s’élance collectant vide et silence. Mouvements (à la Michaux), coupes, substitutions ouvrent un grabat pluvieux ou noir. Il montre lui aussi son vide. Reste une passerelle de formes minimales aux potentialités inaltérables.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Un artichaut mort. Mon père pantinisé en squelette dansant. Mon coeur et quelquefois une goutte de rosée sur les paupières.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
À sa manière, l’archéologue qui sommeille en moi continue lui aussi de creuser.
À quoi avez-vous renoncé ?
Aux estrades lumineuses et aux coiffeurs.
D’où venez-vous ?
D’une matérialité neutre et odorante.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un beau sourire, deux yeux de fruits secs et une mâchoire qui déraille. Le droit d’aller comprendre le fonctionnement d’une pile dans une grotte de nuit noire.
Qu’avez-vous dû « plaquer » pour votre travail ?
En rien, il ne s’agit d’un travail. À peine une occupation.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Si l’occasion se présente, plonger mes mains dans les viscères d’une sardine, la vider, lui trancher la tête et puis l’avaler cuite ou crue.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes et poètes ?
Je ne les connais que peu, et je leur laisse volontiers le soin d’en savoir davantage a mon sujet.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
L’angle métallique d’un ascenseur froid et rouge de la région Lyonnaise. Quatre ans.
Et votre première lecture ?
“Monsieur maladroit”.
Pourquoi votre attirance vers le dessin sur support non vierge ?
Peut-être bien la peur du vide. Le blanc du coton (ou même un lin brunâtre), le vierge donc, dégagent une force absente qui fait mal au crâne. Pour un migraineux, ce qu’entre autres animaux je suis, cette couleur est à bannir, au même titre que l’intérieur des musées et des hôpitaux, par ailleurs semblables sur bien des aspects, désespérément vide de toute humanité.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Dans les concertos n° 2 et 5 pour piano, le soi-disant académique Camille Saint-Saens a été un valeureux compagnon.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Peut être « Capitale de la douleur» d’Eluard. Sûrement « Le passager du transatlantique » de Péret. Évidemment « Les champs de Maldoror » d’Isidore Ducasse.
Quel film vous fait pleurer ?
Tous ceux qui concernent implicitement l’humanité.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Tantôt moi-même, tantôt un peigne en ivoire blanc. Le plus souvent, celui que je rêve un jour d’attraper.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Yves Bonnefoy. Philippe Jacottet. Madame Bernanos.
Quels (le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le creux de mon lit lorsque je ne suis pas fatigué et que je n’arrive pas à m’en extraire.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Aucun, ou alors tous ceux qui par un geste simple ont agi au moins une fois dans leur vie.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Le droit de poursuivre.
Que défendez-vous ?
Le droit des marées. L’impossibilité d’être celui que l’on croit.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Peut mieux faire.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui, mais quelle était la question ? »
Une pirouette en vaut deux.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Doutez-vous de l’existence même des peintres et des poètes ? Certainement, ils sont une race de pêcheurs qui n’obtiennent jamais rien. Et puis une centaine, parmi lesquelles les plus anodines, mais qui en disent long sur une part de vérité.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com le 1er juin 2015