Mais les femmes, à Rome, ne gouvernent pas.
Sera-t-il un jour possible de sortir Agrippine de sa légende noire, elle qui proclame devant l’oracle lui annonçant que Néron son fils deviendra empereur et tuera sa mère : « Qu’il me tue pourvu qu’il règne » ? En réalité, ce que montre la biographie de très belle facture écrite par Virginie Girod, c’est que cette phrase ne révèle qu’imparfaitement la personnalité d’Agrippine. Car l’ambition qui anime cette femme ne se porte pas sur son fils. Agrippine est ambitieuse pour elle-même. En portant son fils sur le trône impérial, elle espère exercer le pouvoir, ce que précisément Néron refusera. D’où le matricide.
C’est là le principal apport de ce travail bien documenté, qui ne sombre pas dans les outrances féministes même s’il montre bien que la folle ambition d’Agrippine – celle en fait de commander aux hommes – scella son destin. Le lecteur peut suivre sans se perdre les méandres de la dynastie des Julio-Claudiens qui, pour son malheur, n’adopta pas la règle de la succession par primogéniture, principat oblige… C’est un point important car Agrippine non seulement bénéficie de sa prestigieuse ascendance mais échappe aux différentes épurations huilant le mécanisme compliqué des successions. Le chemin du pouvoir s’ouvre vite devant elle. Encore doit-elle, pour y parvenir, user à son tour de tous les stratagèmes possibles.
Loin des fantasmes que l’empire romain suscite chez des âmes sensibles, Agrippine n’utilisa pas son corps et le vice, mais la manipulation, l’intrigue et peut-être même le meurtre pour porter Néron. Une tête politique remarquable face à laquelle la malheureuse Messaline ne faisait pas le poids ! Une femme prête à toutes les transgressions dont celle d’épouser son oncle Claude (on sent la fascination qu’exercent sur les membres de la famille impériale les mœurs pharaoniques…). Mais les femmes, à Rome, ne gouvernent pas. Agrippine semble l’oublier et de facto accumule les ennemis, au Sénat, auprès des grands dignitaires de l’Empire, des proches de Néron…
Un destin proprement fascinant très bien analysé.
frederic le moal
Virginie Girod, Agrippine. Sexe, crimes et pouvoir dans la Rome impériale, Tallandier, mai 2015, 299 p. — 20,90 €.