Casanova, Histoire de ma vie

Comme si Saint-François de Sales se mêlait de grivoiserie

Nul mieux que Casa­nova n’a su res­ti­tuer les fêtes et fée­ries galantes comme la sen­sua­lité des femmes dont les « seins ron­de­lets » gar­daient une per­fec­tion mar­mo­réenne prête aux dérives des sens. Plus qu’un autre, il fut « L’homme qui aimait les femmes ». A l’inverse d’un Don Juan avide de la simple prise, il les res­pec­tait : pas for­cé­ment dans un but altruiste mais pour en jouir plus par­fai­te­ment. Son texte le prouve avec un goût cer­tain pour la dra­ma­tur­gie jouis­sive et pic­tu­rale. Il est vrai que l’auteur avait de beaux exemples : comé­diens et peintres fai­saient par­tie de son (grand) cercle sinon d’amis du moins de connais­sances.
Le texte est un per­pé­tuel éblouis­se­ment. Certes, il peut par­fois décon­cer­ter mais il emporte par sa fougue joviale. Elle n’exclut pas la réflexion sans se perdre tou­te­fois en digres­sions ou images qui alour­di­raient cette écri­ture en action. Le texte est la preuve de l’intelligence et de la déli­ca­tesse d’un homme qui est autant un esprit qu’un corps. L’amour et ses digres­sions, la jouis­sance, la réflexion, le trans­port — pas uni­que­ment amou­reux — créent le plai­sir d’un texte. Il éli­mine le cynisme au pro­fit d’un hédo­nisme à la fois car­té­sien et pra­tique. Casa­nova n’hésitait pas à rudoyer les esprits falots comme à défrayer les conci­toyens véni­tiens de ce que d’aucuns peuvent consi­dé­rer – non sans rai­son – comme des mal­ver­sa­tions voire des escroqueries…

L’album de la Pléiade qui accom­pagne les 3 tomes de l’édition inédite donne un par­fait champ-contre-champ à cette his­toire excep­tion­nelle. L’iconographie réunie par Michel Delon illustre un texte dont la « visua­li­sa­tion » induite res­semble à un synop­sis avant la lettre. Mais celui-ci est d’une qua­lité lit­té­raire rare — ce qui n’est pas tou­jours le cas dans les pro­jets ciné­ma­to­gra­phiques. Casa­nova peut être consi­déré en effet comme un ante-réalisateur tant son écri­ture est visuelle. Il reste un des pro­sa­teurs majeurs du siècle des Lumières. La syn­taxe par­faite per­met aux ita­lia­nismes de se glis­ser avec bon­heur dans le fran­çais impec­cable de l’inconvenant Véni­tien.
Et si “l’Histoire” de  l’auteur resta long­temps dans l’oubli, il est capi­tal de la (re)découvrir selon une ver­sion inédite et enfin com­plète. L’original caché à Leip­zig fut pré­senté seule­ment en 1960 pour la pre­mière fois au public. Jusque là l’auteur avait été occulté voire vili­pendé, caviardé, expurgé. Jean Laforgue au XIXème siècle en avait donné par exemple une adap­ta­tion quelque peu édul­co­rée et tisa­nière. Mais très vite les cri­tiques com­prirent néan­moins la force d’une œuvre alerte et ori­gi­nale. Etiemble le consi­déra comme un égal de Saint-Simon. Il avait raison.

Casa­nova sur­git tel un maître en allé­gresse et jovia­lité. A la recherche de la plus grande jus­tesse, il ne triche jamais et sai­sit le plai­sir tout en sachant culti­ver le goût d’un cer­tain pathé­tique. Plus géné­ra­le­ment, il faut rete­nir de l’œuvre sa néces­saire incon­ve­nance. Se déga­geant des poses pous­sié­reuses, Casa­nova sut oser tout (ou presque) dans sa vie comme dans son écri­ture. Il reste un nar­ra­teur de pre­mier plan. Jamais nau­séeux, bourré d’ironie mor­dante, il demeure un chro­ni­queur hors paire que Féli­cien Mar­ceau résuma dans une for­mule par­faite : “on dirait Saint-François de Sales racon­tant une his­toire leste”.

jean-paul gavard-perret

- Casa­nova, His­toire de ma vie, Gal­li­mard, coll. de la Pléiade, 3 tomes, 2015.
- Casa­nova, Gal­li­mard NRF, Album Pléiade Casa­nova par Michel Delon, 2015.

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