Celle qui signait sur les murs de sa maison natale : entretien avec l’artiste Cendres Lavy ( Eponyme)

Si pro­fondes que soient les femmes, Cendres Lavy laisse poindre leur trans­pa­rence. Elle fait d’elle des lacs, des sources, des fon­taines. Le songe s’accomplit en images nour­ries de phi­lo­so­phie. C’est pour­quoi des ondes résur­gentes déli­vrées du piège abys­sal où les rete­naient encore des puis­sances latentes et trop pudiques débordent de cette vie res­sai­sie à la nais­sance des jours. Les mantes peu catho­liques, sor­ties de la sylve qui cache l’éphémère, créent le ver­tige d’une fra­ter­nité mys­té­rieuse. Les femmes de Cendres en abusent au besoin. Dans ses œuvres, tout vire au rose, les nuages sont bleus, la source montre sa perle : même de vieux oiseaux viennent s’y désaltérer.

Cendres Lavy, Epo­nyme, Edi­tions de la Salle de Bains, 2015 — 6,00 €. 

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? De manière empi­rique, comme je vis dans un port flu­vial, ce sont les ragon­dins, les canards qui viennent man­ger autour des bateaux, le matin. c’est aussi le chant des oiseaux qui m’éveille. Lorsque je sais que je ne m réveille­rai pas “avec l’air ambiant”, je pro­gramme mon réveil.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ? Ils s’incarnent. Petite, je des­si­nais et signais sur les murs (inté­rieurs et exte­rieurs) de la mai­son natale (région Léma­nique). La famille me deman­dait d’éffacer immé­dia­te­ment. Et je recom­men­çais sou­vent. Ce, avec toutes sortes de media. Le plus résis­tant, celui dont on ne put venir à bout, fut le tracé déme­suré, à l’aide d’un col­lu­toire (contre les mots de gorge). Qui à la pro­jec­tion sem­blait trans­pa­rent, à peine visible, mais se révela trés tenace, sur le mur poreux, ocre rouge de la cage d’escalier ! Ce graf­fitti au sucre, est aujourd’hui recou­vert par une tapis­se­rie…

A quoi avez-vous renoncé ?
Aux grands voyages (seule­ment pour le moment j’espère bien !). Par contre, je me déplace beau­coup : villes, Port, mon­tagne. Vers la Suisse aussi. J’ai capi­tulé aussi (tou­jours momen­ta­né­ment…) à l’achat d’oeuvres d’art. Heu­reu­se­ment, je suis heu­reuse de pou­voir échan­ger des oeuvres avec cer­tains artistes !

D’où venez-vous ?
De la région Léma­nique, un petit vil­lage qui jouxte, épouse la fron­tière suisse et Genève. Une grande mai­son où les deux frères hor­ti­cul­teurs et leurs familles par­tagent encore leur tra­vail des fleurs (hor­ti­cul­ture) et la mai­son sur deux étages…

Qu’avez-vous reçu en dot ? L’amour de mon père, ses petits soins, son atten­tion. Ma mère étant décé­dée lorsque j’avais 14 ans, lui, le plus gros phal­lo­crate que je connaisse, m’a choyée comme une mère. Il donné les outils pour me rendre auto­nome à tous niveaux, savoir argu­men­ter et pen­ser contre. Maté­riel­le­ment : enfant, le mys­tique et curieux cadeau d’un membre de ma famille : un cor­beau en peluche, son bec en cuir. Adulte, j’ai reçu le leg d’un ami: un second bateau. Le pre­mier “Le coeur à Barbe” sert d’atelier. Le second, d’habitation (“Méta”).

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ? Ma famille, pour res­pi­rer à l’air libre.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ? oui !

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Alors que je griffone/ dess­sine depuis tou­jours, j’ai donné prio­rité à l’étude phi­lo­so­phique plu­tôt qu’à l’art ; il me semble que c’est inha­bi­tuel pour une artiste. C’est suite à mon mas­ter en phi­lo­so­phie (“L’histoire de l’Art Occi­den­tal : Stra­té­gies de pou­voir”) que je me suis tour­née vers les études en arts plas­tiques (agrégation).

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ? « Nabu­cho­do­no­sor » de William Blake, 1795 (gra­vure sur cuivre à la plume et aqua­relle). Frida Kahlo, “La colonne bri­sée”, 1944 (Pein­ture). “Les pains de Picasso”, Robert-Doisneau, 1952 (Pho­to­gra­phie). J’avais punaisé ces trois repro­duc­tions, sous forme d’affichettes, dans ma chambre mansardée.

Et votre pre­mière lec­ture ? Tard dans ma sco­la­rité : je ne lisais jamais les livres ”impo­sés”, sauf en poé­sie. Les jour­naux d’Anaïs Nin, “Mars”, de Fritz Zorn (1975), un auteur suisse, un récit auto­bio­gra­phique autour du Léman.

Pour­quoi votre atti­rance vers le des­sin ? Parce qu’il est très direct, demande peu d’outils et sup­porte tous sup­ports. Comme je me déplace sou­vent pour des expo­si­tions, j’ai choisi le tissu, léger et tenant dans la poche même si le for­mat est de 3m sur 1m40. J’adore l’estampe, pour le contraire : elle demande des étapes, des pro­cé­dures, et du maté­riel lourd et coû­teux. J’imprime sur papier ou tissu, en toute petite série. J’aime le fait de repré­sen­ter à l’envers et l’idée du trans­fert de l’image (à mon avis, per­for­ma­tive).

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’aime la musique élec­tro­nique, le punk, la saoul, le Jazz. Les musiques avec des (infra) basses et très énergiques.

Quel est le livre que vous aimez relire ? “Le rouge et le noir” de Sten­dhal. Notam­ment le cha­pitre 22 , tome 1.

Quel film vous fait pleu­rer ? Je pense à Bull­head (Rund­skop) de Michaël R. Ros­kam (2011).

Quand vous vous regar­dez dans un miroir, qui voyez-vous ? Une femme réso­lue, de bonne réso­lu­tion, par­fois en HD !

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ? Je n’ai aucune peur dans l’écrit .

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? Genève, pour son équi­vo­cité, à la fois tendre, cris­tal­line et centre névral­gique du monde, coeur du monstre.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ? Kara Wal­ker, Picasso, Ana Men­dieta, Goya, Louise Bour­geois et Ida Apple­broog.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ? Un ate­lier plus spa­cieux !

Que défendez-vous ? La magie du vivant, les forces contraires, les dis­son­nances.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”? Je lui trouve un air de pléo­nasme. Je pré­fère : « Tu seras aimé le jour où tu pour­ras mon­trer ta fai­blesse, sans que l’autre s’en serve pour affir­mer sa force. » (Cesare Pavese) et « L’art d’aimer, c’est allier le tem­pré­rament d’un vam­pire à la dis­cré­tion d’une ané­mone. » (Cio­ran).

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?” J’adore, elle me fait rire !!

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ? Celle que vous avez jus­te­ment oubliée. … J’en aurais une en retour : pou­quoi le titre de votre article sur mon tra­vail : “Cendres LAVY, les Interdites ” ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour le litteraire.com, le 6 mai 2015.

2 Comments

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2 Responses to Celle qui signait sur les murs de sa maison natale : entretien avec l’artiste Cendres Lavy ( Eponyme)

  1. Joel huteau

    L’Éros sans les mots mais toutes cou­leurs offertes don le rose n’empêche les épines de nous piquer au vif

  2. Luisier doux

    Bon­jour à toi cendres de la viiiiiiiiiie

    Je t’envoie des bisous de pensée.

    DOUX .

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