Cheevy Stevens, Des yeux dans la nuit

Des vies sous l’emprise d’un gourou !

Nadine Lavoie a réussi sa car­rière de psy­cho­logue et tra­vaille dans la cli­nique de Van­cou­ver. On ne peut tou­te­fois pas en dire autant de sa vie pri­vée. Veuve éplo­rée, elle n’a plus de nou­velles de sa fille qui mène une vie de mar­gi­nale dro­guée, et les contacts qu’elle entre­tient avec son frère sont dis­ten­dus et qua­si­ment inexis­tants. Elle s’est for­gée une cara­pace, mais celle-ci com­mence peu à peu à cra­que­ler quand elle doit venir en aide à Hea­ther, une jeune patiente qui a fait une ten­ta­tive de sui­cide, et à son conjoint. Tous deux fuient un groupe mys­tique bien ins­tallé dans la région, et son meneur, Aaron, exerce une grande influence sur ses dis­ciples. En décou­vrant les pro­blèmes d’Heather, sa patiente, Nadine est subi­te­ment confron­tée aux fan­tômes de son passé, et la dis­pa­ri­tion de sa fille va l’entraîner dans une enquête qui s’avérerera des plus dan­ge­reuses et désta­bi­li­santes pour elle et les siens.
Cheevy Ste­vens a été révé­lée en France avec Séques­trée, qui a connu un grand suc­cès à sa paru­tion. D’origine cana­dienne, elle nous fait décou­vrir à tra­vers ses romans la région de Vic­to­ria, ou de Van­cou­ver, et met en scène des femmes volon­taires et cou­ra­geuses. Sa der­nière héroïne fait par­tie de cette lignée. Nadine Lavoie est brillante, sen­sible, brave, mais quand son passé vient la han­ter, son équi­libre devient pré­caire, d’autant plus qu’elle est assez seule.

Dans ce roman, l’auteure dénonce les dérives de cer­tains grou­pus­cules soi-disant “reli­gieux”, et nous fait froid dans le dos en dévoi­lant pro­gres­si­ve­ment les méthodes uti­li­sées par la secte ima­gi­naire qu’elle crée pour les besoins de son his­toire.  Aaron et cer­tains de ses proches uti­lisent la mani­pu­la­tion à un degré effrayant, et cer­taines per­sonnes fra­gi­li­sées dans leur vie per­son­nelle en font les frais. Les ravages cau­sés par la drogue, et l’absence d’une struc­ture fami­liale solide, sont éga­le­ment une des clefs de com­pré­hen­sion de l’histoire. Com­ment gérer une jeune femme dépen­dante et renouer les liens avec elle ? L’histoire est bien fice­lée, et on prend vite peur pour le deve­nir de l’héroïne qui se bat qua­si­ment seule contre cette secte. On peut cepen­dant regret­ter la rapi­dité avec laquelle le sus­pense dis­pa­raît, car cer­tains évé­ne­ments sont trop pré­vi­sibles, contrai­re­ment à Séques­trée.
Des yeux dans la nuit offrira une lec­ture fluide, bien ryth­mée, mais sans grosses sur­prises, quand on connaît un peu les tech­niques de mani­pu­la­tion et coer­ci­tion uti­li­sées par cer­tains mou­ve­ments à carac­tère faus­se­ment mys­tique. Peut-être l’auteure aurait-elle pû encore aller plus loin ? Il est néan­moins cer­tain que vos soi­rées seront trou­blées par le regard inqui­si­teur et mena­çant d’Aaron.

franck bous­sard

Cheevy Ste­vens, Des yeux dans la nuit, Pocket, 2015, 479 p. — 8, 90 €.