Entretien avec l’auteure de Swiss trash :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de vivre, de créer –mais créer relève de l’envie de vivre -, mes amis et toutes les personnes qui m’ont accordé leur confiance.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’ai réalisé deux rêves d’enfant : devenir écrivain et ne pas avoir d’enfant. Deux choses difficiles. La deuxième si ça se trouve plus difficile que la première. Tout ce qui vit est programmé pour se reproduire. Il faut un mental fort pour ne pas se plier à ce que la nature, l’entourage et la société vous poussent à faire. Quand j’étais fillette, dans mon milieu de prolétaires immigrés, même si mes parents, et ma famille en général, étaient relativement cultivés par rapport à leur milieu, on ne pouvait pas songer à devenir écrivain. Tout comme il était impensable qu’on puisse ne pas vouloir d’enfant. Cela m’irritait particulièrement lorsque, gamine, on m’assenait « tu verras quand tu auras des enfants… ». Idem à l’école ménagère – obligatoire à l’époque — où l’on nous enseignait à être de futures mères et de bonnes ménagères au service de notre mari et de nos enfants. Je me demandais de quel droit tous ces gens — parents, famille, enseignants — décidaient de ce que devait être ma vie sans se préoccuper de mes propres désirs. A 8 ou 9 ans je me suis fait trois promesses : devenir écrivain, ne pas me marier et ne jamais avoir d’enfant. J’en ai tenu deux contre vents et marées même si j’ai dû payer au prix fort de ne pas vouloir mener une vie comme tout le monde. Je me suis quand même mariée et j’aurais mieux fait de m’abstenir, mais je n’ai aucun regret dans la mesure où le passé ne peut être défait. On ne peut influencer que l’avenir.
A quoi avez-vous renoncé ?
A voyager et c’est une souffrance. A l’amour « couple » et c’est peut-être une libération. Mais il ne faut jamais dire fontaine…
D’où venez-vous ?
J’ai cessé de me poser les questions auxquelles je suis incapable de répondre.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Sept fées marraines qui m’ont fait cadeau de choses magnifiques et la fée Carabosse venue faire son vœu maléfique. La dormante s’est tout de même réveillée (non, pas grâce à un Prince, la vraie vie est plus étonnante, compliquée et subtile que les contes).
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
L’orgueil.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Contrairement à l’image que je donne, je suis plutôt ascétique et spartiate, si cela n’avait pas été le cas, je serais sûrement morte à l’heure qu’il est, mais quand je tombe sur le plaisir, j’en abuse à l’excès.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains et artistes ?
Chaque être humain est unique tout en étant identique au reste de l’humanité. Ce qui me distingue des autres écrivains ou artistes est donc ma part unique.
Quelle fut l’image la première qui esthétiquement vous interpella ?
Enfant, très vite, ce que mes yeux cadraient, isolaient du reste du contexte. Notamment les lézardes des murs que je trouvais belles. Mais je me souviens de ma fascination, lorsqu’à 10 ans, j’ai découvert Le Jardin des Délices de Hieronymus Bosch, au Musée du Prado. J’aurais pu rester des heures devant ce tableau. Idem pour Saturne dévorant un de ses fils de Francisco de Goya. Et puis La Maja Desnuda, dont mes parents avaient accroché la reproduction au salon, ce qui choquait parfois les visites, notamment les Suisses qui trouvaient cela inconvenant, d’autant qu’ils s’imaginaient qu’il s’agissait de ma mère. Mais pour mes parents c’était juste un chef d’œuvre de la peinture espagnole. Ils avaient aussi accroché El Quitasol. Ils étaient fiers d’être issus d’un pays d’une culture aussi abondante et ils m’ont transmis cette fierté.
Et votre première lecture ?
« Oui-Oui et son âne » fut le premier vrai livre que j’ai lu hors contexte scolaire. A la fin de ma lecture j’étais étonnée de savoir lire seule et de finir un aussi gros livre plein de lettres et de pages en moins d’un mercredi après-midi. Mais j’ai trouvé l’histoire décevante, stupide et surtout extrêmement creuse par rapport à mes envies d’apprendre ou de me transporter dans d’autres univers. Après cette première expérience j’ai commencé à lire tout ce qui me tombait sous la main. Je suis rapidement passée aux livres pour adultes entre deux Bibliothèque rose ou verte. La Maison Tellier de Guy de Maupassant fut ma première lecture adulte. Je n’avais pas dix ans. Le premier récit racontait une histoire de prostituées. J’ai adoré. C’est là que j’ai décidé de devenir écrivain — pas écrivaine, écrivain comme un homme — et d’écrire des choses sur la vie des gens dont personne ne parle jamais.
Pourquoi votre attirances vers l’autoportrait et une forme très particulière d’auto-fiction ?
Parce que maîtriser mon sujet m’est indispensable, et que l’on ne connaît rien mieux que soi-même ou son entourage. Cependant mes histoires restent des fictions parce que je mêle le faux à un vrai que je transforme de manière plausible. Dans Inertie par exemple, je maîtrise parfaitement mon sujet, les états dépressifs et cyclothymiques ainsi que la paupérisation qui n’aide en rien ce genre de maladies, en revanche, l’histoire est une parfaite fiction de bout en bout.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’ai des goûts éclectiques mais principalement du rock alternatif. Cependant cela dépend des périodes, de mon humeur et de l’activité que je fais pendant que j’écoute de la musique. Je peux aussi écouter de la chanson à texte, du flamenco, de la chanson engagée, du disco, de la world, Chopin ou Haydn… Mon univers musical connaît peu de limites.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
La Maison Tellier de Guy de Maupassant. Le retour aux sources.
Quel film vous fait pleurer ?
Tous ceux où un animal meurt ou se fait torturer.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je ne vois pas qui ! Je vois une mosaïque schizophrène composée de centaines de tesselles.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A l’institutrice raciste, sadique et humiliante que j’ai eu en 3ème année de primaire. Celle qui m’a conduite à haïr l’école pour le restant de mes jours tout en m’apprenant à courber les cours, parce que j’avais peur d’aller en classe. Et lorsque je me forçais à y aller, je vomissais avant de sortir de chez moi. Celle qui m’a appris à tricher, et à imiter la signature de ma mère pour écrire les mots d’excuse. Je lui ai souvent souhaité de mourir dans une lente agonie traversée d’atroces douleurs. Maintenant je m’en fous. Il n’empêche qu’elle a changé ma vie et pas favorablement.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je suis née une deuxième fois à Paris lorsque j’ai quitté la Suisse pour suivre le cours Florent.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Des peintres : Goya dans sa période noire, Francis Bacon pour sa violence expressive, Hopper pour la solitude qui se dégage de ses tableaux et, plus près de moi de Cédric Magnin, dont j’apprécie particulièrement le travail. Je me sens également proche de la danse expressionniste allemande, des chorégraphies de Pina Baush, de Suzanne Linke ou à présent du français François Chaignaud. Mais également du flamenco et du réalisateur espagnol Pedro Almodovar. Je dis d’ailleurs de moi-même, à ceux qui me trouvent exubérante, troublione, vulgaire et déplacée de par mes agitations peu calvinistes, que je suis la plus almodovarienne des auteurs romands. Je suis d’origine espagnole, madrilène qui plus est. Pour ne pas décadrer, j’ai longtemps essayé d’être ce que l’on attendait de moi et ce fut un enterrement de troisième zone. A présent je refuse de lutter contre ma nature et contre ma culture initiale.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
La possibilité d’arrêter le temps.
Que défendez-vous ?
La multiplicité de l’être. Une personne est composée de multiples facettes qui parfois semblent contradictoires les unes avec les autres et qui pourtant s’harmonisent, or la société impose d’en cacher certaines pour rester « crédible » au sein d’un travail par exemple. Ridicule et dangereux. C’est comme si un piano n’avait que trois touches. Il ne pourrait exprimer toutes les nuances de la musique. Pour cette raison j’écris sous mon nom, que j’écrive une histoire pour enfant ou un récit érotique. Je défends également la liberté de faire ce que bon me semble avec mon corps, sans me préoccuper de l’avis des religieux, des misogynes, des féministes – à noter que je me considère comme féministe non-militante – ou de qui que ce soit.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Une tragédie. Ma propre vie lorsque je tentais de sauver des proches qui souffraient d’addictions, sous prétexte « que l’amour peut sauver de tout » or la seule chose que j’ai réussi c’est à me perdre moi-même peut-être justement parce que je n’avais pas assez d’amour pour ma personne.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
A la société dans laquelle on vit. On dit oui à tout, sans même comprendre la question qui nous est posée et surtout sans nous poser la moindre question.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
C’est votre rôle d’y songer. Pas le mien.
ndlr : Dunia Miralles a reçu le 6 mai 2015 le Prix Littéraire Bibliomedia pour son roman Inertie
Entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 27 avril 2015.