Du miracle et de ses énigmes : Mélanie Matthieu
L’artiste zurichoise Mélanie Matthieu tire un bilan d’un voyage sur le site de Notre Dame de la Salette dans les Alpes françaises. Le titre patoisant de son livre reprend les mots (en français « Là bas, là bas ») que prononça un des deux visionnaires. Le 9 septembre dans les alpages au dessus du village de La Salette en Isère, deux petits bergers, Maximin Giraud et Mélanie Calvat, disent avoir rencontré une “Belle Dame” en pleurs, toute de lumière. Elle leur confie un message de conversion, pour “tout son peuple”. Après 5 ans d’une enquête, l’évêque de Grenoble, Mgr Philibert de Bruillard, reconnut par un mandement authenticité de l’apparition de la Vierge.
Lâmo Lâva est construit en deux parties : dans la première les photographies créent une série de liens entre le paysage, les lieux de culte et les villages, et entre le dehors et le dedans. L’artiste joue du passé et du présent, du sacré et du vernaculaire non sans une ironie plus tacite que directe. La seconde partie multiplie des parallèles et des analogies en y intégrant des textes d’auteurs aussi différents que Léon Bloy, Camille Claudel, Roger Callois et Julia Kristeva. Ces témoignages littéraires, poétiques et philosophiques se répondent pour mettre en « voix » un théâtre de l’inconscient religieux au sein d’un labyrinthe textuel et visuel qui souligne tout autant l’histoire de l’apparition, la biographie des « élus » (ou des illuminés), une réinterprétation de leurs silhouettes dans une poésie du lieu et de l’histoire ou de la légende.
Ne prenant pas parti dans le mystère d’une telle révélation (en une période qui en France fut fertile en de telles manifestations — Lourdes, Lisieux — qui donnent lieu à de bien diverses spéculations), Mélanie Matthieu cultive astucieusement l’ellipse pour proposer un rituel laïque. Le récit du miracle ne la décoiffe pas forcément : ni elle ne l’entérine ni elle ne le conteste ouvertement. La beauté du lieu l’émeut, les marques de piété la laissent plus distante même si parfois elle recueille « religieusement » en ses images les actes d’amour des croyants. Elle ne va pas donc jusqu’à épouser les mots Bataille au sujet de telles apparitions : « Celui qui l’assaille est dépossédé de son être ». Néanmoins, son livre peut être admis dans le cercle sacré des objets de piété.
jean-paul gavard-perret
Mélanie Matthieu, Lâmo Lâva, Alauda publications, Amsterdam, 2015, 122 p. - 38,00 €.