La Neuchâteloise s’est installée dans sa jeunesse à La Chaux-de-Fonds afin de travailler pour « Bikini Test ». Elle fut à l’époque moins impressionnée par le milieu rock (plus sérieux qu’il n’y paraît) que par un amoureux toxicomane qui la confronta aux drogues dures, au chômage et aux problèmes sociaux. Il y eut là une initiation à la violence radicale : celle qui peut mener à la dépression, la dérive, la mort et la folie. L’écriture de Swiss trash — réédité aujourd’hui — lui a permis au-delà des galères de voir une autre face de La Chaux-de-Fonds et de se reconstruire même si l’auteure comme son livre en porte cicatrices et douleurs prêtes à se réanimer.
Dunia Miralles reste encore attirée par les perdants qui sont loin d’être forcément magnifiques (alcooliques, toxicomanes, femmes et les battues). L’auteure, quoique quelque peu pacifiée, demeure poreuse à la misère qui parfois la tétanise. Mais ce n’est pas neuf : dès son enfance et bien qu’entourée d’une famille bienveillante, elle était sensible aux réprouvés. Son passage par les drogues dures — qui la conduisit à sa chute — a exacerbé l’idée que l’écriture seule semble pouvoir canaliser la douleur quitte à surjouer le sexe et la drôlerie acerbe.
En dépit de ses nombreux voyages entre autres à Paris ou à Genève, La Chaux reste l’objet d’amour et de haine et le creuset de son œuvre : « je crains de perdre l’inspiration si je quitte cette ville ». Son travail accorde le démenti au sondage qui met la Suisse au sommet du hit-parade des pays les plus heureux. Pour autant, l’auteure ne se veut pas militante. Elle cherche « simplement » à comprendre et donner à éprouver un ressenti : « C’est un parti pris. Je veux que le lecteur éprouve toute la détresse de mes personnages, afin qu’il puisse comprendre certaines situation à travers sa propre chair ». Pour y parvenir, l’auteure ne joue pas sur la surenchère miséreuse. Tout est pensé, orchestré. Swiss trash à ce titre porte son lot de violences mais ne se limite pas à un document brut. L’œuvre est essentiellement littéraire. Le style est rapide, lapidaire : dans cette succession de scansions, un déferlement de pensées prolifère. Certes, la radicalité d’une telle écriture gène : les grands éditeurs parisiens boudent encore Dunia Miralles.
Il existe pourtant beaucoup d’humour dans Swiss trash comme dans ses autres livres, même si le monde tel qu’il est demeure là avec tout ce qui peut pousser à la mort plus ou moins programmée : alcool, drogue, prostitution, perte d’emploi et de statut, tentation de s’en sortir en vivant à contre-courant en tentant de rejoindre une rive. D’Inertie en est le parfait « modèle » comme Swiss trash le fut. La créatrice semble vivre la vie de ses personnages. L’instinct d’Eros passe par la passion d’écrire : « depuis que je suis enfant je me considère comme un écrivain et rien d’autre ». Cela nécessite une dureté envers soi-même et permet de ne pas se laisser détruire.
Preuve que si la littérature est une maladie elle peut aussi représenter une thérapie dont l’autodérision n’est pas le moindre des ingrédients.
jean-paul gavard-perret
Dunia Miralles, Swiss trash, l’Age d’Homme, coll. Poche Suisse, Lausanne, 2015.
Magnifique!