Louise Bourgeois, le textile et le secret
Louise Bourgeois avait l’odeur de sainteté en horreur. Pourtant, derrière son exhibitionnisme ou plutôt ses exhibitions se cache une extrême pudeur. L’ostentation possède toujours chez elle un aspect particulier : il s’agit d’une manière de se soustraire afin de mieux faire surgir les secrets les plus intimes en particulier ceux de l’enfance. Plus précisément celui qui toucha à son père (afin de lui faire payer ses avanies) et aussi celui de sa mère lorsque, comme ici, l’artiste s’employa à travailler le textile et certaines figures “d’aiguilles”.
Par ses travaux de ravaudage, Louise Bourgeois poursuivit tout un travail de réparation sur le plan métaphorique et mental mais aussi pratique. Il trouve son apogée dans le motif de l’araignée récurrent dans l’œuvre et symbole d’une mère — accusée entre autres par son mari d’avoir une mygale dans la tête. En dehors de ce symbole puissant, l’artiste new-yorkaise en hommage au métier de sa mère n’a eu cesse de rassembler, de fragmenter, de remonter des pans tapissiers afin de créer une nouvelle “structuratoire” du textile. Tout cela en lien avec son enfance et l’entreprise familale de restauration de tapisseries de ses parents. Le livre adjoint aux œuvres plusieurs fac-similés des archives familiales et des écritures/poèmes psychanalytiques inédits de l’artiste.
Textes images mettent à nu le monstre paternel mais, avec le textile, l’artiste se veut infirmière de celle qui tenta, tant bien que mal, de la faire passer d’un âge d’innocence à celui d’un age adulte. L’histoire de l’œuvre de Louise Bourgeois est donc l’histoire d’une accession à soi contre le père et son pouvoir sexuel mais aussi pour la mère humiliée. Fantasmagories de “reprises”, installations monstrueuses tentent ainsi d’oublier les “ dernières nuits de sexe ” de son père là où des visages à la bouche ouverte tentent en vain de crier. En exhibant de telles têtes, l’artiste “dit” ce que la mère ne pouvait oser. Existent là des fantômes ou des réalités. Ils servent d’appât à la présence d’une identité qui ne se définit que par des dépôts, des lambeaux que la fille indignée essaye de reconstruire pour mettre fin à une résignation féminine. Elle passe ici par divers procès figuratifs aussi pénétrants que douloureux.
jean-paul gavard-perret
Louise Bourgeois, The spider and the tapestries, Hatje Cantz, Ostfirden, 2015, 102 p. — 28, 00 €.