Emporter ses richesses dans l’Au-delà !
Le croque-mort est un personnage qui apparaît épisodiquement dans le western avec un rôle qui n’est pas souvent à son avantage. Xavier Dorison a décidé d’en faire le héros d’une série et Ralph Meyer lui donne le physique d’un baroudeur proche de celui de Blueberry pour un premier tome riche en bonnes surprises.
Jonas Crow sillonne l’Ouest américain avec son corbillard. Il n’est pas apprécié des hommes mais il s’en moque. Il préfère la compagnie d’un vautour. Joe Cusco, un richissime propriétaire de mines d’or, qui organise lui-même ses funérailles, fait appel à ses services… pour le lendemain. Il ne veut pas que sa fortune, gagnée à la sueur de son front, et plus, aille à d’autres. Il a transformé ses richesses en pépites qu’il veut manger pour se faire ensevelir avec elles dans la mine où il a trouvé ses premiers grammes d’or. C’est Rose Prairie, sa gouvernante intègre et loyale, qui accompagnera Jonas et veillera à respecter les instructions qu’il a laissées dans son coffre, à n’ouvrir qu’après sa mort. Dans ce testament, Joe spécifie que nul ne doit toucher à son corps. S’il n’est pas, dans les trois jours, enterré intact dans son filon, un homme, pris au hasard, sera cruellement et longuement torturé. Mais le serviteur de Cusco veut l’or. Il alerte les mineurs, provoque leur indignation et leur colère, eux qui survivent si difficilement. Jonas et Rose vont devoir, aidé de la cuisinière chinoise, tenter de mener à bien leur mission.
Undertaker renoue avec la veine du western rehaussée de la ruée vers l’or de l’Ouest américain. Le héros se révèle un personnage complexe, voire très complexe dont il reste, après ce premier tome, beaucoup à découvrir. Il donne l’impression d’être intraitable mais se laisse attendrir par un regard, fait preuve de compassion et de bonté face à une situation de dénuement. Xavier Dorison associe cet homme mystérieux, qui fait preuve d’humour, semble s’amuser dans la vie, à une jeune Anglaise dévote, puritaine et psychorigide. Leur confrontation donne l’occasion d’un humour ironique tant dans les dialogues que dans les situations, même lorsque le danger est très présent. Mais cet humour se fait décalé et cinglant quand il place dans la bouche du héros des citations comme celle empruntée à une Bible de fantaisie. Sur la tombe d’un jeune garçon, le croque-mort déclame une parole divine rapportée par Saint Paul dans une épître aux Californiens : “Même pour tout l’or du monde tu n’enverras pas tes gosses crever comme des cons en creusant des trous à rats.“
Autour de Jonas, le scénariste fait graviter une galerie de personnages composée de classiques du genre comme un sheriff corrompu, des commerçants avides, insensibles à la misère des exclus de la société tout juste bons à trimer pour arracher la richesse dont d’autres profitent. Xavier Dorison en profite pour glisser quelques idées fortes sur la nature de la richesse, sur la cohabitation de l’or et de la merde.
Ralph Meyer assure un dessin réaliste qui restitue parfaitement l’imagerie de cette époque en ces lieux. Il réalise un graphisme efficace, d’une grande qualité, recherchant une mise en page aux angles de vues et aux perspectives attractives et dynamiques. Il participe également à la couleur avec Caroline Delabie, mettant en valeur, par les tons appropriés, ses audaces graphiques et l’inventivité du scénario. Il brosse des personnages aux caractéristiques physiques et à l’expressivité remarquables.
Ce premier album, à l’intrigue riche et passionnante, à la chute particulièrement agaçante, augure d’une grande et belle série que l’on aura plaisir à suivre.
serge perraud
Xavier Dorison (scénario), Ralph Meyer (dessin), Ralph Meyer et Caroline Delabie (couleurs), Undertaker, tome 1 : “Le mangeur d’or”, Dargaud, janvier 2015, 56 p. – 13,99 €.