Navettes poétiques et critiques
Il y a loin des brèves de musée aux brèves de comptoir. Surtout lorsqu’elles sont concoctées par un artiste d’envergure qui se révèle poète pour évoquer le travail de certains de ses pairs. Pour Dezeuze, écrire un haïku ne revient pas à mettre le grain de sel de l’enjolivement pour agrémenter l’émotion du spectateur. Il ne fait pas plus miroiter la possibilité de trouver une réponse univoque et définitive à la question :« Et vous, vous savez ce qu’il en est de l’art ? ». Le créateur en sait pourtant beaucoup sur la question mais il est trop pudique pour le revendiquer haut et fort. Le haïku devient une forme de repli capable de créer des images qui oscillent entre le brûlant et la glaciation.
Du réservoir des œuvres du musée Fabre, Daniel Dezeuze ne conserve que celles dont les lignes de force proposent un langage dont aucun grammairien ne saurait quoi dire. Et c’est pourquoi ces textes sont si importants. Leur “coup” n’est pas celui du dé mallarméen et il abolit bien des discours verbeux. A chaque œuvre le haïku ne donne pas un sens : il fait mieux. Il lui accorde un temps, une existence à travers des métaphores re-formatrices.
Afin de se soustraire au risque du mutisme et de l’aphasie que tout commentaire génère, Dezeuze trouve la fracture essentielle et la facture adéquate dans lesquelles la sonorité elle-même garde son importance. Elle fait claquer la langue des œuvres en de beaux craquements, de belles consonances. De plus, par rapport aux modalités habituelles de la critique, l’artiste contribue de manière déterminante au développement de la recherche de son propre langage intime.
Tout chez lui devient une affaire de « ponts » (suspendus) capables de suggérer des sources de plaisir en un mouvement dialectique. La culture populaire et l’expérimentation s’y croisent. Elles donnent lieu à des hybridations pour le moins étonnantes. Dans ce tangage du langage critique, la poésie devient capable de produire une unité et une dissémination. Se croisent et s’entrecroisent des harmonies et des dysharmonies : l’art et le haïku sont instruits en un mouvement de navettes entre leurs frontières : les discours comme les images toute faites se déchirent et s’éclaircissent. Les deux se débarrassent de peaux mortes afin de renaître. C’est bien là le travail de l’artiste et du poète.
jean-paul gavard-perret
Daniel Dezeuze, Brèves de Musée - 50 haïkus pour 50 chefs-d’œuvre, Editions Méridianes, coll. quadrant / Le Musée Fabre : visite guidée, Montpellier, 2015, 112 p. — 14,00 €.