Un chef-d’oeuvre en éclats
Kafka-Fragmente, une œuvre pour Soprano et violon de György Kurtag a été créée le 25 avril 1987 à Witten, et donné plusieurs fois depuis en version de concert. Antoine Gindt en a proposé une présentation scénique en 2007 reprise au théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet du 19 au 22 mars 2015. Kurtag, musicien discret, a atteint une réputation internationale ; il privilégie les formes courtes et associe la voix à des formations réduites, dans un raffinement sonore et un minimalisme qui font de lui un miniaturiste digne de la tradition du madrigal. Pourtant, Kafka-Fragmente est un chef-d’œuvre de 56 minutes qui réunit une série de fragments extraits du journal et de lettres de Franz Kafka : de simples aphorismes, des pensées sont propulsés dans une interaction musicale très étroite entre la voix et le violon qui se répondent, se dissocient ou se frôlent.
Pourquoi et comment transposer cette pièce sonore dans l’ordre visuel et spatial de la scène ? L’intention du metteur en scène est explicite : « Le désir de mettre en scène ces quarante fragments, de leur donner une forme qui s’accorde à la complexité kafkaïenne autant qu’à la simplicité et à l’apparente évidence des échanges entre la voix et l’instrument, à la force de la brièveté des textes, se pose ainsi en équation. La relation à l’image, à l’illustration de ces textes et de ces états est en permanence source de questionnement. » (Antoine Gindt )
La question est claire, la réponse apportée par la mise en scène l’est moins. Le dispositif scénique est rigoureux, les éclairages maîtrisés. La violoniste et la chanteuse évoluent dans un espace redoublé par un écran restituant avec quelques écarts la scène que nous regardons. Elles s’imposent dans leur registre propre, grande précision d’un violon convoqué par Kurtag dans tous ses registres en contrepoint d’une voix dont on exige de violents contrastes, du phrasé dans le Klage Gesang (le chant de plainte), jusqu’au cri. Elles s’imposent de façon moins évidente dans leur jeu d’actrices : elles bougent, s’affrontent, se toisent ou s’ignorent, s’assoient, changent de chaise entre deux fondus au noir sans que leurs mouvements n’obéissent à une nécessité du texte musical et littéraire. Le spectateur doit à la fois lire les sous-titres, regarder la vidéo, comprendre ce que font les acteurs figurants qui, tantôt assis immobiles sur les gradins d’un amphithéâtre d’arrière-plan, tantôt évoluant lentement, redoublent bien inutilement le propos de la pièce et notre posture de spectateurs.
Le dispositif, certes maîtrisé et visuellement réussi, contraint par le parti pris minimaliste de la musique de Kurtag et des textes resserrés de Kafka, crée un effet de redondance qui brouille les cartes d’une écoute que l’imagination musicale suffirait à nourrir, proposant un surplus de sens appauvrissant car il s’alimente aux platitudes psychologiques là où les textes choisis par Kurtag visent une élévation que la voix et les cordes ne réduisent pas mais subliment.
frederic cossutta
Kafka-Fragmente
musique György Kurtág
textes Franz Kafka
mise en scène Antoine Gindt
avec la soprano Salome Kammer
la violoniste Carolin Widmann
et les comédiens Jacques Albert, Maëlys Ricordeau
figuration Louna Bécel Muratti, Guarani Feitosa, Étienne Oumedjkane, Ambroise Sabbagh, Gergana Todorova
Au théâtre de l’Athénée,
sq. de l’Opéra Louis-Jouvet
7 rue Boudreau 75009 Paris
Location : 01 53 05 19 19
Du 19 au 22 mars 2015 à 20h,
Sauf le dimanche à 16h, durée 1h.
Collaboration artistique Aurélia Guillet
Scénographie et lumières Klaus Grünberg
Costumes Gwendoline Bouget.