L’univers photographique de Virgine Rebetez est composite. Il se double de divers autres matériaux, documents et mediums et prouve qu’il ne promet pas forcément ce qu’on attend de lui. Sortant le portrait du portrait, l’artiste l’arrache au monde de l’hypnose pour le glisser dans celui de la gestation au sein d’une enquête reprise et filée selon des critères pas forcément “policiers” et policés. Tout part pourtant d’un fait vrai : la disparition à Albany (New-York) d’une jeune américaine de 19 ans. Disparue en 1998, le corps de Suzanne Gloria Lyall n’a jamais été retrouvé et sa disparition reste une énigme. Pour commencer son enquête, la jeune artiste a eu accès grâce à la famille de la disparue à de nombreux dossiers, documents et objet. Et les fait jouer en ce qu’elle nomme le « recto-verso, le visible et le hors-champ » en y mêlant ses propres documents jusqu’à recréer une autre histoire avec d’autres personnages. Cette approche ouvre à une multitude fractionnée ou le balbutiement d’une ombre (on ne voit jamais la “vraie” photo de la disparue) tente la reprise d’un “qui elle est” ou un “si elle est” à travers le “qui je suis” et le “si je suis” (Beckett) de Virginie Rebetez.
La Vaudoise remet en cause la question du portrait et de l’identité par un travail de fond à travers les “occurrences” du réel et de l’imaginaire qu’il ouvre et ce, depuis le début ses ses travaux. Elle prouve combien par la prise photographique le visage à la fois “s’envisage” et se “dévisage”. Ne faisant pas abstraction de ce qu’il en est de l’identité, de l’anonymat (ou de la reconnaissance), de l’écran et du support, du signe et de sa trace, l’artiste a transformé une enquête en fresque où la notion de cliché est brouillée par manipulations et transferts.
Virginie Rebetez perturbe notre regard et ses habitudes de reconnaissance. Portraits anonymes, visages familiers ou extraits de journaux, identités fantômes ou avérées, tout est bon pour elle afin de faire d’un patchwork un acte de foi comme de mécréance sur ce qu’il en est de l’image et ce qu’elle représente : des abîmes en lieu et place des féeries d’une pseudo-évidence. Avec la créatrice, le voyeur passe de l’endroit où tout se laisse voir vers un espace où tout se perd mais afin d’approcher une renaissance incisée de nouveaux contours sans que, pour autant, ceux-ci puissent donner autre chose que des hypothèses vagues.
Le feu secret du silence continue de brûler. L’artiste le montre avec autant de délicatesse que d’impertinence.
jean-paul gavard-perret
Virginie Rebetez,
- Out of the Blue , Galerie Christopher Gerber, Lausanne, du 2 au 30 avril 2015. -
– Livre : série de 49 images et textes, 144 p.