Paul Mathieu, Auteurs autour — Notes sur quelques voix contemporaines et au-delà

Palimp­sestes de Paul Mathieu

Le poète Paul Mathieu sait com­bien nous ne sommes que trop peu des sujets qui s’expriment même lorsque nous écri­vons. Nous res­tons avant tout des êtres par­lés. A savoir, ani­més par des paroles tierces qui nous disent. Ces « voix » amènent non à nous quit­ter mais à nous faire. Elles n’éliminent pas notre pré­sent mais le nour­rissent d’autres — d’hier et d’aujourd’hui. Nous sommes tra­ver­sés de ces paroles qui trouent l’illusoire et montre à « l’assassin » le che­min, forgent sa voix par­ti­cu­lière. Car les mots des auteurs qui nous parlent sont comme des limaces : dans notre sol, elles laissent une trace. Celle-ci n’abrite pas for­cé­ment : elles sont tout sauf sécu­ri­taires. Elles accen­tuent le mys­tère d’un assas­si­nat de la pen­sée entre passé, pré­sent et futur (anté­rieur). Au lec­teur de jouer avec son dis­po­si­tif afin d’éclairer son rébus au sein de ce qui à tra­vers d’autres auteurs rythme sa propre pul­sa­tion.
Ces « maîtres » nous font tirer la langue. Peu à peu — et Paul Mathieu l’illustre -, elle remue hors de toute attente. Cette langue nous est d’abord étrange : sexuée et her­ma­phro­dite à la fois. Elle porte en elle la coquille de sens et d’émotions que les auteurs nous ont accor­dée en par­tage. Leurs textes peuvent nous don­ner l’idée des contes de fée, ils offrent la mer et la mère, la plage et la falaise. Il y a même par­fois une ombre sur une bicy­clette — l’auteur nous explique à mots cou­verts com­ment la rejoindre et com­ment relier une nature à une autre. Emane par­fois une cha­leur acca­blante. Mais par­fois la neige en éteint les flammes.

De telles voix nous confrontent à notre propre his­toire, à nos propres racines, nos sys­tèmes, à nos res­pon­sa­bi­li­tés jusque « dans les alié­na­tions que nous infli­geons à l’autre tel­le­ment dif­fé­rent qu’on ne cherche qu’à le détruire, l’assimiler, le for­cer à adop­ter nos convic­tions, nos prin­cipes ». Telle est la magie des écri­tures qui nous ont per­cu­tés. Elles res­tent des pré­sences ambi­guës qui per­mettent de déduire du passé le pré­sent et de sup­pléer les silences. Une théo­rie de l’écriture germe insi­dieu­se­ment mais sans laïus — comme l’amour dans le noir. Paul Mathieu en déplie les draps qui ont fait son « lit » plus que ses ratures et qui lui ont apporté une cer­taine sagesse, une cer­taine folie.
Pour autant, son essai n’ouvre pas à une réso­lu­tion de l’énigme. Il en délivre des bribes et indices. Comme si les reines et rois qui mènent le bal se reti­raient en même tant qu’ils avancent dans ses textes. Le « je » de l’écrivain est comme l’ombre por­tée de ce qu’il a lu et qu’il lit à la pour­suite de qui il devient, de qui il est. Il s’étire à la sur­face du lan­gage sous un éclai­rage de soleil rasant d’auteurs qui sont pour lui « la source solaire pro­pre­ment dite » mais qui n’apparaît jamais. Existe là ce qui fait l’écriture : un mou­ve­ment de flux et de reflux. Mais l’auteur de rap­pe­ler que « voix parmi les voix » (Beckett), celles-ci — fau­teuses de « troubles » — réveillent. Son livre fait ainsi ce que les autres ne font pas. Der­rière la cloi­son de ses pages se com­mu­nique un ailleurs — où l’écriture puise sa source — avec les yeux de la luci­dité. D’où la sen­sa­tion (au réveil) d’un monde plus que réel et indi­quant le nord magné­tique de la propre écri­ture du poète.

jean-paul gavard-perret

Paul Mathieu,  Auteurs autour — Notes sur quelques voix contem­po­raines et au-delà, Edi­tions Tra­ver­sées, coll. essais, 2015 , 15,00 €.

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies, Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>