Philip K. Dick, Immunité et autres mirages futurs

Ce recueil de nou­velles écrites entre 1952 et 1954 consti­tue un petit opus indispensable

Il est des réédi­tions néces­saires. Ce recueil de nou­velles écrites entre 1952 et 1954 en est la preuve. Phi­lip K. Dick est un maître de la science-fiction, il fait par­tie de cette poi­gnée d’auteurs qui savent ana­ly­ser avec clair­voyance les évo­lu­tions actuelles et à venir de leur société et qui sont capables d’interroger avec la même force les lec­teurs contem­po­rains comme ceux de la géné­ra­tion sui­vante. Loin d’être datés, les textes pré­sen­tés ici trouvent un écho angois­sant dans notre quo­ti­dien. Ils semblent s’organiser à l’image de satel­lites autour d’un fil conduc­teur qui se dévoile au fur et à mesure et fait fré­mir. Les uni­vers de Phi­lip K. Dick sont effrayants et les thèmes qu’ils font saillir laissent sans voix ! L’auteur doute des bien­faits du déve­lop­pe­ment à outrance des sciences, de la robo­ti­sa­tion exces­sive et de l’automatisation sys­té­ma­tique des tâches d’une huma­nité qui ne connaît pas les limites de ces tech­no­lo­gies mais qui leur accorde toute sa confiance. Car si le but est louable - abo­lir le tra­vail de l’homme ou à défaut ne lui en lais­ser que les facettes intel­lec­tuelles - les risques et les dérives pos­sibles n’en sont pas moins exor­bi­tants. Et en effet, que se passerait-il si les machines deve­naient auto­nomes au point de ne plus être fidèles à leurs créa­teurs ? Qu’adviendrait-il d’un humain dont le cas ne relè­ve­rait d’aucune pos­si­bi­lité envi­sa­gée au préa­lable ? Com­ment réagi­rait un sys­tème trop rigide pour trai­ter cette particularité ?

L’ima­gi­naire de l’auteur a été frappé par la Seconde Guerre Mon­diale et on retrouve un besoin cathar­tique de décrire des pla­nètes déso­lées, rava­gées par les inven­tions ter­ribles de l’homme et son non-respect pour l’environnement. Les per­son­nages évo­luent dans des champs de ruines encore fumantes, et se voient obli­gés de se ter­rer dans des îlots épar­gnés par les radia­tions quand ils ne sont pas tout sim­ple­ment contraints de se réfu­gier sous terre… Loin, très loin du soleil et du ciel. À l’inverse, si la ten­dance post-apocalyptique a été évi­tée, c’est grâce aux robots et à leur intel­li­gence deve­nue bien supé­rieure à celle de l’homme. Et arrive le règne des machines, aux­quelles se sou­met l’être humain, bien inca­pable de riva­li­ser avec elles, réduit à les diver­tir et les ser­vir. Enca­drés, par­qués, sur­veillés, sans pos­si­bi­lité de révolte ni moyens de lut­ter, l’homme accepte ou déprime. Ce sont les deux seules alter­na­tives qui lui sont lais­sées. Et pas ques­tion de sor­tir du moule ! Mais ce ne sont là que les toiles d’arrière-fond sur les­quelles les per­son­nages se meuvent. Phi­lip K. Dick ne prête aucun sen­ti­ment aux êtres infor­ma­tiques, les empê­chant d’évoluer autre­ment que selon un sys­tème pré­éta­bli. Et la seule nou­velle trai­tant du cas inverse est si sur­pre­nante qu’il serait mes­quin vis-à-vis du futur lec­teur d’en dire plus.

Une fois bros­sés ces fonds de toile, l’auteur détaille ses sujets de pré­di­lec­tion : com­mer­cia­li­sa­tion à outrance, agres­si­vité totale, place de l’individu dans la société et défi­ni­tion du schéma social, liberté d’action et de pen­sée, mani­pu­la­tions idéo­lo­giques, poli­tiques et mer­can­tiles, muta­tions géné­tiques, tolé­rance et accep­ta­tion des dif­fé­rences quelles qu’elles soient. Le tout se basant sur une des évo­lu­tions pos­sibles de la société des années 1950. Et c’est là que ces récits prennent toute leur consis­tance, sur­tout aujourd’hui : ce qui est décrit peut encore adve­nir ! Sur­tout si l’on consi­dère l’évolution des enti­tés capi­ta­listes actuelles. Com­ment alors ne pas être angoissé à son tour par ces tableaux ? Les craintes de Phi­lip K. Dick sont com­mu­ni­ca­tives et leur simple évo­ca­tion est une véri­table mise en abîme de nos habi­tudes pour­tant si insi­gni­fiantes et a priori, si inof­fen­sives. Com­ment ensuite accep­ter sans bron­cher l’environnement formé par notre société ? Le regard que l’auteur por­tait il y a un demi-siècle est celui d’un homme ayant un sens de l’observation et une capa­cité d’anticipation hors du com­mun. D’aucuns le qua­li­fie­raient de vision­naire. Pour­tant, il y a un thème qui n’apparaît pas dans ces nou­velles : le déve­lop­pe­ment incroyable des sys­tèmes de com­mu­ni­ca­tion. Il fau­dra aller le cher­cher dans d’autres textes de cet auteur majeur, dont les plus connus sont sûre­ment Pay­check, Mino­rity Report, Blade Run­ner et Total Recall.

Philip K. Dick est fidèle à ces deux petits mots qui sont à eux seuls une véri­table défi­ni­tion de la science-fiction : et si… ? Il s’en est emparé avec brio et a sondé méti­cu­leu­se­ment les aspects saillants de son monde, cher­chant le maillon faible sous lequel glis­ser un grain de sable pour voir quels déra­pages cela pour­rait occa­sion­ner. Il en résulte un ensemble de textes forts, à lire sépa­ré­ment (à tout ava­ler d’une traite on en sor­ti­rait hagard, et prêt à rem­bal­ler le pre­mier com­mer­cial venu) tant sa vision du futur est pes­si­miste et déses­pé­rante. Des récits d’autant plus per­cu­tants d’ailleurs qu’ils sont courts.
Un petit opus nécessaire.

ana­bel delage

Phi­lip K. Dick, Immu­nité et autres mirages futurs (tra­duit par Hélène Col­lon), Folio SF n°197, 2005, 243 p. — 5,30 €.

 

 

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