Arnaldur Indridason, Les nuits de Reykjavik

Les débuts du héros…

Depuis des années, les ama­teurs de romans poli­ciers de qua­lité suivent les enquêtes d’Erlandur le taci­turne et de la com­mis­saire Marion Briem dans l’Islande d’aujourd’hui. Arnal­dur Indri­da­son cède-t-il à la mode du pré­quel en pro­po­sant de suivre les débuts de son héros dans la police ? Mais, quelle qu’en soit la rai­son, l’auteur, avec Les nuits de Reyk­ja­vik, offre un roman passionnant.

Accom­pa­gné de deux étu­diants en droit qui ont trouvé là un job d’été, Erlan­dur, nou­vel­le­ment affecté à la police de proxi­mité, patrouille de nuit. Ils sont essen­tiel­le­ment confron­tés à des acci­dents, des bagarres dus à l’ivresse. Il pense qu’il y a un an, il repê­chait le corps d’Hannibal, un clo­chard, dans des tour­bières. Il connais­sait celui-ci l’ayant côtoyé quelque peu et secouru lors de l’hiver pré­cé­dent. L’enquête, rapide, avait conclu à une noyade sous l’emprise de l’alcool. Pour­tant, ce clo­chard se sen­tait en dan­ger. Il disait qu’on avait tenté de l’assassiner en met­tant le feu dans le réduit où il trou­vait refuge pour cuver et dor­mir.
Dès son entrée dans la police, Erlan­dur fré­quente les archives et s’intéresse à des dis­pa­ri­tions inex­pli­quées. Il remarque ainsi deux cas qui retiennent son atten­tion, ceux d’une col­lé­gienne et d’une employée d’agence. Mais c’est sur­tout la mort d’Hannibal qui occupe ses pen­sées. Il com­mence alors, à titre per­son­nel, une enquête. Il ren­contre deux frères, ceux que le clo­chard crai­gnait. Ceux-ci se pré­sentent, cepen­dant, comme ses sau­veurs lors de l’incendie du local. Il contacte la sœur du clo­chard, la femme qui par­ta­geait épi­so­di­que­ment sa vie, des com­pa­gnons de la rue qui ont pu échan­ger avec lui. Peu à peu, Erlan­dur acquiert la convic­tion que sa mort n’a rien d’accidentelle…

Les patrouilles de nuit du héros donnent l’occasion d’explorer un aspect de Reyk­ja­vik peu connu des tou­ristes, mais un aspect qui se retrouve dans toutes les cités impor­tantes, dans tous les lieux où se concentre une large popu­la­tion. Sur les pas de son per­son­nage, Arnal­dur Indri­da­son décrit une popu­la­tion qui fait un usage inten­sif de bois­sons fortes et les consé­quences induites comme les bagarres, les acci­dents de la route, les vio­lences conju­gales et les divers tra­fics autour de l’alcool. L’auteur s’attache sur­tout, dans son intrigue, au milieu des clo­chards, des SDF qui hantent la ville et ses envi­rons.
À tra­vers quelques per­son­nages aux pro­fils psy­cho­lo­giques d’une grande finesse, il évoque l’existence de ces exclus, volon­taires ou non, de la société, leurs moyens de sub­sis­tance, leurs refuges, offi­ciels ou non. Avec Han­ni­bal, le roman­cier dépeint un homme por­teur d’une lourde res­pon­sa­bi­lité qui refuse tout sou­tien, toute com­pas­sion. Il expli­cite les moti­va­tions d’Erlandur pour la recherche des per­sonnes dis­pa­rues, les rai­sons de son achar­ne­ment à décou­vrir la vérité sur la mort d’Hannibal.
L’auteur pro­pose une intrigue où la quête de la vérité suit un che­min chao­tique, erra­tique, pre­nant des direc­tions diverses dic­tées par les témoi­gnages, les bribes d’informations que l’enquêteur peut sai­sir. Il lui faut remon­ter dif­fé­rentes pistes dont beau­coup abou­ti­ront à une impasse, débou­che­ront sur d’autres réa­li­tés, avant de se rap­pro­cher de la vérité. L’auteur illustre magni­fi­que­ment, avec ce récit, le tra­vail de fourmi que doivent mener des détec­tives, en ratis­sant large pour décou­vrir des rai­sons, des causes et des expli­ca­tions à des évé­ne­ments, à des actes.

L’action se situe en 1974, l’année du 1100e anni­ver­saire de la colo­ni­sa­tion de l’Islande. Arnal­dur Indri­da­son fait revivre cette période, les oppo­si­tions entre les cou­rants de pen­sées tra­di­tion­na­listes ou avant-gardistes. Il s’interroge, avec son héros, sur l’ouverture vers une société se cal­quant sur celle de l’Amérique du Nord. C’est, par exemple, le com­bat entre la pizza, la res­tau­ra­tion rapide contre les plats usuels de l’Islande tels que le pois­son bouilli accom­pa­gné de pommes de terre ou des joues de mou­tons grillées.
Avec ce livre, Arnal­dur Indri­da­son livre des clés sur la psy­cho­lo­gie de son héros, signe une intrigue super­be­ment menée jusqu’à une conclu­sion sur­pre­nante et brosse, en fin socio­logue, les pré­mices d’une société dont les tra­vers n’iront qu’en s’amplifiant. Un véri­table régal de lecture.

serge per­raud

Arnal­dur Indri­da­son, Les nuits de Reyk­ja­vik (Reyk­ja­vi­kurnӕ­tur), tra­duit de l’islandais par Éric Boury, Métai­lié noir, février 2015, 264 p. – 19,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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