Michael Moorcock, Les Danseurs de la fin des Temps

Bien­ve­nue au sein d’une com­mu­nauté humaine que l’imminence de la Fin des temps n’affole nullement

Nombre d’auteurs ont un jour essayé d’imaginer ce que pour­rait être la fin des temps. De la société nor­mée au point d’en être figée à celle expé­ri­men­tant les idées les plus folles, entre les com­mu­nau­tés ayant tenté un retour aux anciennes mœurs et celles ayant viré à l’ultramécanisation — leurs membres deve­nant robot-dépendants ou techno-dépendants -, la plu­part des récits ont pour moteur com­mun un sen­ti­ment humain : la peur de l’achèvement. D’où le besoin irré­pres­sible de trou­ver une solu­tion, quel qu’en soit le prix.
Michael Moor­cock a pris un parti autre dans le cycle des Dan­seurs de la Fin des Temps. Le lec­teur découvre un uni­vers peu­plé d’une cen­taine d’individus plus lou­foques les uns que les autres, quasi-immortels et mus par un seul désir : s’amuser. Et pour cela tout leur est bon : le recours à une tech­no­lo­gie qu’ils maî­trisent sans en com­prendre le fonc­tion­ne­ment, leur mécon­nais­sance du passé — leurs seules sources de savoir, incar­nées par des cités savantes, étant deve­nues par­tiel­le­ment séniles — et leur amour des Beaux-Arts. Avec, de sur­croît, l’aide de leur ima­gi­na­tion déli­rante, éten­due aux pro­por­tions d’une pla­nète entière. Les modes passent, le bur­lesque reste, et l’éventualité d’une fin véri­table les amuse beau­coup ! Pour­quoi donc cher­cher un remède à une nou­velle expé­rience ? Forts de cette phi­lo­so­phie dérou­tante, les pro­ta­go­nistes conti­nuent d’organiser d’immenses fêtes et d’attraper les visi­teurs tem­po­rels les plus exo­tiques échouant dans les parages pour com­plé­ter leurs ména­ge­ries. Quand l’un des voya­geurs tem­po­rels prêche la venue de la Fin des Temps, qui anni­hi­lera de fait toute la galaxie, nul ne s’affole. Mais l’enthousiasme géné­ral sera déclen­ché par la redé­cou­verte de l’amour, grâce à une pas­sion dévo­rante qui consume l’un de ces demi-dieux. Grisé par une demoi­selle venue du XIXe siècle, Jhe­rek Car­ne­lian décide de la conqué­rir. Et bien des aven­tures s’ensuivent !

Fil conduc­teur du cycle : cette his­toire d’amour somme toute banale, qui per­met à l’auteur une confron­ta­tion presque scien­ti­fique de mœurs et de cou­tumes dif­fé­rentes, l’énonciation d’une phi­lo­so­phie de vie contra­dic­toire, et une happy end pour le moins conve­nue ! Mais qu’importe l’intrigue, même si elle est bien menée. Michael Moor­cock est bon conteur, on le savait déjà. Nul besoin de van­ter son sens du tra­gique, de la ten­sion dra­ma­tique ou de la construc­tion habile. L’auteur d’Elric des Dra­gons n’avait nulle néces­sité de prou­ver quoi que ce soit une fois ses galons acquis. On notera par contre que la vue opti­miste, l’aspect anec­do­tique de la solu­tion fina­le­ment trou­vée et la leçon morale simple que l’on peut reti­rer de cette lec­ture sont fort inté­res­sants. Car ce cycle a un mérite essen­tiel : il donne le sou­rire. L’auteur se joue d’un sujet au demeu­rant atroce et se per­met une belle leçon d’humilité : on gagne à res­ter opti­miste… pour ne pas dire insou­ciant. C’est une manière de revi­si­ter le pro­verbe biblique “Aide-toi et le ciel t’aidera”, autant que le pla­cide “À chaque pro­blème sa solu­tion”. Le tout étant de gar­der sa bonne humeur — et une confiance aveugle en sa bonne étoile.

 

Ici, encore une fois, l’amateur de SF cher­chera les réfé­rences et autres clins d’œil per­cep­tibles à chaque épi­sode. Un hom­mage par­ti­cu­lier est rendu à Phi­lip José Far­mer, un autre grand mon­sieur adepte de la coha­bi­ta­tion des peuples et croyances de toutes les époques et de la liberté sexuelle poussé à l’extrême. On poin­tera néan­moins les petits tra­vers que le décou­page du texte met en évi­dence, qui agacent au bout d’un cer­tain temps même s’ils res­pectent la nar­ra­tion et tombent juste. Ainsi, l’aspect mora­li­sa­teur en est plus appuyé et le schéma nar­ra­tif appa­raît un peu trop clai­re­ment. Et quelle tapis­se­rie sup­porte de lais­ser devi­ner sa trame sans que le motif en soit gâché ? Un peu de recul est néces­saire mais pas trop — sans quoi le pacte de lec­ture se fis­sure… En outre, le lec­teur s’abstiendra de ren­voyer les ouvrages à l’éditeur après avoir pointé les fautes res­tantes et les noms tra­duits dif­fé­rem­ment d’un volume à l’autre (le joli Gaf la Jument en Pleurs deve­nant l’insipide Gaf le Che­val en Pleurs). Mais une fois pas­sés ces petits désa­gré­ments ( !), il est dif­fi­cile d’oublier à quel point ce cycle est une oeuvre pers­pi­cace, tant les pro­blé­ma­tiques, fussent-elles par­fois juste esquis­sées, res­tent d’actualité.

Reste à signa­ler aux fans d’Elric que si l’ambiance peut par­fois rap­pe­ler celle de leur saga ado­rée, et bien que cer­tains per­son­nages puissent leur paraître fami­liers, les intrigues de palais et la cruauté ne sont pas du même aca­bit. À plus vaste échelle, ce cycle n’est pas de la Fan­tasy. Nul dra­gon à cher­cher, autre que méta­pho­rique. L’albinos téné­breux n’est pas non plus au rendez-vous. Mais que cela ne les empêche pas de jeter un oeil dans ce monde-là, car Michael Moor­cock s’est illus­tré dans plus d’un genre et sa vision baroque des der­niers moments du monde mérite d’être décou­verte, ne serait-ce que pour les cou­leurs dont elle se pare.

ana­bel delage

   
 

Michael Moor­cock, Les Dan­seurs de la fin des Temps (tra­duit par Eli­sa­beth Gille), Gal­li­mard coll. “Folio SF”,

-  Tome 1 : “Une cha­leur venue d’ailleurs”, Foi­lio SF n° 174, mai 2004, 288 p. — 5,30 €.
-  Tome 2 : “Les terres creuses”, Folio SF n° 179, juin 2004, 270 p. — 4,10 €.
-  Tome 3 : “La fin de tous les chants”, Folio SF n° 181, juillet 2004, 384 p. — 6,20 €.
-  Tome 4 : “Légendes de la fin des temps”, Folio SF n°184, sep­tembre 2004, 288 p. — 5,30 €.

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