Sculptures et poésie : Jacques Clerc le repeupleur
Jacques Clerc à été célébré à Mirmande comme il se doit. En découle plus qu’un catalogue : un livre bilan où l’artiste se retrouve parmi ses œuvres et les poètes qu’elles ont bien plus qu’accompagnés : Jean-Marie Gleize, Bernard Chambaz, Dominique Fourcade, René Pons, Michel Butor, Jude Stefan , Jean-Yves Bosseur, Bernard Noël et bien d’autres. Toute la poésie du temps, Jacques Clerc l’honore et Sculpture parmi les mots permet de proposer un bilan (provisoire) sur ses travaux à travers un lieu : l’église Sainte Foy de Mirmande dans la Drôme. L’artiste la définit ainsi : « Un appareillage de pierre calcaire. Tout est simple et rigoureux, rigide ». L’austérité et la force du lieu correspondent aux mêmes qualités dans l’œuvre de l’artiste. En elle, la « nudité » prend tout son sens et s’éloigne de ce que l’on entend généralement par ce mot.
Graveur et sculpteur, Jacques Clerc ne cesse de se frotter à des “lambeaux” capables de générer l’utopie de la vision. D’où la nécessité de cet échange entre l’art plastique et la poésie, la matière et l’image, l’attention aux choses et à l’espace. Jacques Clerc reconstruit le réel ou met à nu le monde en des opérations dont le caractère expérimental garde toujours comme enjeu non seulement les formes mais l’être. Celui-ci retourne à l’état de spectre. Cette « vue » a pris racine pour l’artiste dans l’expérience de la Seconde Guerre Mondiale et de la Shoah puis en d’autres traumatismes de l’Histoire. Des personnages et auteurs tels que Paul Demesnay, Max Delatour, Franz Fanon, Paul Celan, Christian Gabriel Guez-Ricord n’y sont pas pour rien. Clerc a retourné l’expérience du manque et de la mort par la présence de “spectralités” minimalistes et dégagées de toute boursouflure.
L’expérience lyrique,ici, n’est pas ostentatoire mais intérieure. Le monde est re-figuré dans un dénuement où jouent l’ombre et la lumière là où les couleurs (diaphanes, parcimonieuses) procurent une sidération. Celle-ci surgit d’une obsession, une hantise de l’entrave dont le créateur veut néanmoins libérer ses œuvres. Comme s’il voulait réparer le trauma d’une époque qui croule sous les violences et les images aussi répulsives que « scandaleusement » attirantes. Celles de Jacques Clerc à l’inverse permettent de revenir à l’essentiel : l’image primitive et sourde. Jamais loin du presque rien, l’artiste atteint une essence de clarté par le dépouillement majeur là où l’art semble se dérober mais résiste pourtant de manière essentielle. Se produit une effraction et une violation de sépultures à travers lesquelles ce qui en jaillit montre la lueur d’une vérité innommable au seuil de l’obscur et de la clarté, du dehors et de dedans.
Opaques comme le marbre des tombeaux, translucides comme l’ambre, les oeuvres de Clerc, plus qu’enfermer dans un antre funéraire, permettent de flamber par ce qui n’est pas la lumière exactement mais la lueur du vivant. Surgissent de l’œuvre ascèse, austérité. Elles suggèrent l’indicible où l’Autrefois rencontre le Maintenant afin de surgir. Elles ne sont pas sans rappeler les mots de l’œuvre terminale de Beckett, à laquelle Clerc donne une sorte de continuité : « folie vu ce — / ce — / ceci — / ce ceci — / ceci-ci — / folie donné tout ce — / vu — / folie vu tout ce ceci — / voir — / entrevoir — / croire entrevoir — / là — / là-bas — / à peine — / loin de là-bas — / à peine — / loin là là-bas à peine quoi — ». Mais cet à peine reste l’essentiel.
jean-paul gavard-perret
Jacques Clerc, Sculpture parmi les mots, Editions ville de Mirmande, 2015, 97 p. - 15,00 €.