La Bête dans la jungle ( Henry James/Marguerite Duras)

La détresse des indi­vi­dus qui se repaissent à mou­rir de conce­voir leur manque 

Un grand espace inté­rieur, des­siné par une enfi­lade de pièces, des mou­lures. Le ton pas­tel passé donne au pla­teau un aspect sobre, indé­fini, intem­po­rel. Une femme parle au condi­tion­nel ; ses pro­pos ellip­tiques dési­gnent des choses qui sans doute ne sont que des mots. Un dia­logue s’engage avec un homme ; elle lui pré­sente le châ­teau, dont elle est comme la conser­va­trice. On les suit dans la suc­ces­sion de leurs ren­contres sans objet. De sub­tils échanges s’engagent sur la mémoire, l’intimité, l’identité ; on finit par oublier de quoi on parle.
Mais on ne parle pas de choses et d’autres. Il n’est en effet ques­tion que de soi, entre soi : bien sûr la fami­lia­rité, l’amitié, le mariage même sont évo­qués. Les répliques, posées mais vives, déve­loppent comme une danse d’aspirations conte­nues. C’est comme une explo­ra­tion sans objet, une quête qui se nour­rit d’elle-même, un rap­pro­che­ment inexo­rable de deux êtres qui ne s’unissent pas autre­ment que par leurs dia­logues. Une repré­sen­ta­tion maî­tri­sée, de grande qua­lité, sta­tique mais captivante.

Les per­son­nages semblent ne s’épanouir que dans ce qu’ils explorent peu à peu d’eux-mêmes. Un spec­tacle sobre mais aussi très sty­lisé. Tout est très doux, mais simul­ta­né­ment très violent. On assiste à l’explicitation de l’indécelable, à l’inexorable mani­fes­ta­tion de la fon­cière impé­ri­tie de deux êtres aux prises avec eux-mêmes. La vie par pro­cu­ra­tion ins­truite en copré­sence. Bien sûr, c’est le drame de l’impossible ren­contre de ceux qui n’ont fait que s’interroger sur leurs aspi­ra­tions.
Le ren­ver­se­ment de la ten­sion, qui n’est que sug­géré dans l’adaptation de Henry James, va être déve­loppé dans l’œuvre de Mar­gue­rite Duras. Les deux textes sont enchaî­nés et fon­dus à la faveur de la parenté de leur thème, de la trans­pa­rence des per­son­nages, de modestes mais déci­sives inter­ven­tions scé­no­gra­phiques. Le lit, la jeune fille muette de nudité, la vidéo jouent le rôle de révé­la­teurs : l’histoire est mise en lumière comme à tra­vers son néga­tif. En-deçà et au-delà de l’amour qui relie sans se lais­ser dire, il y a la détresse des indi­vi­dus qui se repaissent à mou­rir de conce­voir leur manque.

chris­tophe giolito

La Bête dans la jungle d’après la nou­velle de Henry James, adap­ta­tion Mar­gue­rite Duras

d’après l’adaptation théâ­trale de James Lord, La Mala­die de la mort de Mar­gue­rite Duras

mise en scène Célie Pauthe

Avec John Arnold, Valé­rie Dré­ville et Mélo­die Richard

Col­la­bo­ra­tion artis­tique Denis Lou­ba­ton ; assis­ta­nat à la mise en scène Marie For­tuit ; scé­no­gra­phie et cos­tumes Marie La Rocca, assis­tée de Jean-Baptiste Bel­lon ; lumières Sébas­tien Michaud ; son Aline Lous­ta­lot ; vidéo Fran­çois Weber ; coif­fures et maquillages Isa­belle Lemeilleur.

Photo © Eli­sa­beth Carecchio

Au Théâtre La Col­line – Théâtre Natio­nal, Grand Théâtre 15, rue Malte Brun 75020 Paris

Réser­va­tions 01 44 62 52 52 billetterie@colline.fr

http://www.colline.fr/fr/spectacle/la-bete-dans-la-jungle

du 26 février 2015 au 22 mars 2015

du mer­credi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30 durée 2h20

pro­duc­tion CDN Besan­çon Franche-Comté
copro­duc­tion La Col­line — théâtre national

Le texte de la pièce a paru aux Édi­tions Gallimard

 

 

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