A la suite du cataclysme nucléaire des Trois jours, la Terre est devenue un champ de ruines où quelques humains essaient de survivre
Baltimore, USA, 1965 : Roger Zelazny, déjà auteur de plusieurs nouvelles de science-fiction, s’atèle à son premier roman en pleine guerre froide. Il ne s’agit donc pas d’un hasard si l’écrivain a choisi comme décor pour Toi, l’immortel un monde ravagé par la catastrophe atomique des “Trois Jours”… Dans ce futur apocalyptique, la plupart des Hommes se sont réfugiés sur les planètes possédées par les Végans, une civilisation extraterrestre qui a peu à peu pris le contrôle de notre Terre devenue un immense champ de ruines radioactives.
Parmi les quatre millions d’êtres humains qui s’acharnent à vivre dans cet enfer se trouve Conrad Nomikos. Nul ne connaît l’âge de ce personnage sombre et mystérieux, pas même sa compagne. Victime des radiations, il semble également qu’il ait eu plusieurs identités au cours de sa vie. Dont celle d’un héros du Grand Retour, un mouvement de résistance prônant la réappropriation de la Terre par les humains.
Occupant désormais le poste de conservateur du “musée” abritant les vestiges notre planète, il reçoit pour mission de servir de guide à Cort Myshtigo, un dignitaire végan en visite sous prétexte de mener une obscure étude historique. Mais dès le début du périple, une tentative d’assassinat vise Conrad Nomikos, puis une autre le Végan…
Quel objectif secret poursuit donc l’extraterrestre à travers ce voyage ? Une occupation définitive de la Terre par les Végans ? La question place en tout cas le héros face à un dilemme : écouter ses anciens idéaux et supprimer Cort Myshtigo, ou, faute de preuves, le protéger des multiples dangers que recèle désormais notre planète.
Les Hommes doivent en effet y survivre parmi des êtres mutants, des tribus cannibales, des monstres cauchemardesques, et même, tenez-vous bien : des vampires-araignées… Une opulence de “créatures” plus fantasques les unes que les autres qui donne au roman une ambiance aussi baroque que psychédélique. Au risque cependant de décourager les lecteurs les plus hermétiques à la science-fiction…
À travers la description de ce monde peuplé de demi-dieux et hanté par de sombres cérémonies païennes, Roger Zelazny fait de nombreuses allusions à la mythologie grecque, donnant ainsi au récit une ambiance de fin du monde. L’un des personnages note d’ailleurs à ce sujet :
Lorsque l’humanité est sortie des ténèbres, elle a ramené une profusion de légendes, de mythes et de souvenirs de créatures fantastiques. Nous sommes en train de replonger dans le gouffre de ces mêmes ténèbres.
L’omniprésence de la violence vient également renforcer cette atmosphère. Les nombreuses scènes de combat se révèlent néanmoins répétitives et traînent souvent en longueur. Leurs issues s’avèrent, de plus, prévisibles : Conrad Nomikos possède en effet des pouvoirs proches de ceux d’un super-héros. Bien sûr, son instinct est infaillible, et son assurance teintée de cynisme finit même par le rendre peu attachant. En particulier lorsque ses pointes d’ironie et son sens de l’humour bon marché plombent les dialogues, au point de rendre ceux-là parfois dignes d’un mauvais polar.
Malgré ces défauts, Roger Zelazny, surtout connu pour le Cycle des Princes d’Ambres, démontre à travers ce premier roman au style inégal qu’il possède une imagination hors du commun. Toi, l’immortel obtiendra d’ailleurs en 1966 la plus prestigieuse récompense du genre, à savoir le prix Hugo, à égalité avec… le célébrissime Dune de Frank Herbert.
Autre preuve attestant de la qualité de cette œuvre de science-fiction : bientôt quarante ans après sa parution, le roman n’a pas démesurément vieilli. Exception faite, bien sûr, du sens de l’humour de son personnage principal…
charles dupire
Roger Zelazny, Toi l’immortel (traduit par Mimi Perrin), Folio SF, décembre 2004, 281 p. — 5,04 €. |
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