Stanislas Lem, La Cybériade

Stani­las Lem apporte ici une nou­velle démons­tra­tion de son immense talent, mâti­nant d’humour un réseau serré de réfé­rences littéraires

Trurl et Cla­pau­cius sont les deux construc­teurs cos­miques les plus sérieux qui soient. Leur renom­mée s’étend dans toute la galaxie et nombre de monarques ont déjà fait appel à eux. Munis d’un savoir immense, curieux et effi­caces, les deux com­pères sont sans cesse en quête de nou­veaux défis à rele­ver, de nou­velles créa­tions à mettre en oeuvre et rien ne les effraie. Ils sont aussi de grands phi­lo­sophes, d’excellents conteurs et des don­neurs de leçons facé­tieux. Mais l’aspect le plus agréable chez eux est leur humour. Ce der­nier leur per­met d’aborder n’importe quelle situa­tion et de s’en sor­tir en la ren­dant drôle. Leurs aven­tures les conduisent d’un bout à l’autre de l’univers ou à s’affronter l’un l’autre, à moins qu’ils ne doivent se défaire de leurs propres inven­tions, deve­nues trop pénibles ou qui déve­loppent une fâcheuse ten­dance à prendre conscience d’elles-mêmes et à se révol­ter.
On les découvre embar­qués dans des his­toires invrai­sem­blables, rusés et par­fois pingres, mau­vais per­dants — puisqu’ils ne peuvent pas avoir tort ! — ou sen­sibles et tendres. Per­sonnes adu­lées ou détes­tées dans leur pays, selon la quan­tité d’ennuis que leurs inven­tions pro­voquent chez leurs conci­toyens, ils pour­suivent inlas­sa­ble­ment leur recherche de savoir. Et ces grands enfants ne cessent de s’émerveiller de leurs trou­vailles.
En dévoi­ler plus serait gâcher le plai­sir de la décou­verte, aussi, le lec­teur répon­dra sûre­ment à leur petite annonce, rédi­gée en ces termes :
Deux émi­nents construc­teurs recherchent occu­pa­tion bien rému­né­rée cor­res­pon­dant à leurs capa­ci­tés, de pré­fé­rence à la cour de quelque roi for­tuné, gérant son royaume ; condi­tions à débattre.

L’uni­vers de Sta­nis­las Lem est un magni­fique hom­mage au Don Qui­chotte de Cer­van­tès et à la science. Son texte est tour à tour poé­tique, drôle et emmène le lec­teur où la fan­tai­sie des deux génies les porte… c’est-à-dire aux confins de la galaxie. Les royaumes se suc­cèdent et ce n’est pas sans rap­pe­ler un autre grand nom de la lit­té­ra­ture, à savoir Cyrano de Ber­ge­rac et son Voyage dans la lune, puisqu’on retrouve le champ de la cri­tique sociale et les mêmes stra­ta­gèmes, avec ce qu’ils ont de bur­lesque et de réflé­chi à la fois. On se délecte sur­tout des pas­sages brillants où la science se fait poème et inves­tit les contes phi­lo­so­phiques. C’est toute une tra­di­tion roma­nesque dont s’inspire ce grand auteur, bien qu’aujourd’hui ces modes nar­ra­tifs très hyper­bo­liques soient d’usage moins cou­rant, et deviennent peut-être moins acces­sibles. Ce livre mérite d’être lu, même si l’on ne connaît pas les clas­siques aux­quels l’auteur se réfère. Il n’en reste pas moins que Sta­nis­las Lem est à la science-fiction ce que Terry Pra­chett est à la Fans­tasy : un écri­vain brillant, doté d’une culture immense, jouant à déca­ler les réfé­rences et les hom­mages (directs ou non), à les croi­ser pour les mettre en valeur et adres­ser autant de clins d’œil au lec­teur. Celui-ci doit faire preuve de finesse pour trou­ver par­fois des clés sub­tiles avant d’arriver à devi­ner quelle peut bien être la source.

Stanis­las Lem va, jusque dans la struc­ture, cher­cher la paro­die tout en res­tant très pince-sans-rire, et s’il n’était pas polo­nais, on pour­rait le croire anglais tant son sens de la déri­sion est proche de l’humour bri­tish. Mais pouvait-on s’attendre à autre chose de la part de quelqu’un qui per­met à un de ses per­son­nages d’inventer une machine à créer tous les mots com­men­çant par la lettre “n”, sans oublier le néant ?!

ana­bel delage

   
 

Sta­nis­las Lem, La Cybé­riade (tra­duit par Domi­nique Sila), Gal­li­mard coll. “Folio SF”, n°193, 2004, 360 p. — 6.80 €.

 
     
 

1 Comment

Filed under Poches, Science-fiction/ Fantastique etc.

One Response to Stanislas Lem, La Cybériade

  1. capt everton

    Ce livre a été trop fou pour moi et j’ai eu beau­coup de mal à aller au bout. J’ai même été sur­pris que google lui rende hom­mage. Il n’y a pas de trame cen­trale dans ce recueil ni de logique, c’est peut-être ce qui plaît au geek de la sili­con val­ley. Je suis un peu méchant et je vais modé­rer mon pro­pos.
    La plu­part des nou­velles tiennent plus du techno conte de fée que de la S.F pure.
    Trurl et Cla­pau­cius sont des géo-trouvetout mal­adroits qui ne man­que­ront pas de vous sur­prendre bien que leur psy­cho­lo­gie soit limi­tée (ce qui est assez proche de la lit­té­raure com­mu­niste de manière géné­rale et trés éloi­gné de Sola­ris autre livre de Lem qui est une mer­veille de psy­cho­lo­gie). Mais on ne lit pas ce livre en espé­rant trou­ver de la finesse psy­cho­lo­gique ni une morale mis à part “faites n’importe quoi il se pas­sera tou­jours quelque chose”. Nous sommes dans le registre du comique de situa­tion décalé que l’on peut retrou­ver dans la lit­té­ra­ture du moyen âge type roman de renard, (par bra­vade je n’ai pas voulu faire le paral­lèle avec les mon­thy python)

    http://sfsarthe.blog.free.fr

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