Evoquer le rien qui n’est rien implique donc qu’on puisse le montrer encore. Dès lors, le seuil de l’œuvre de la jeune plasticienne chercheuse Céline Cadaureille n’est pas ce que l’on croit : par lui, on n’entre pas dans le néant on le devient. Dans ses amas, ses prisons, ses suicides une telle approche touche à une extase inversée. La vie n’a de sens que par les « déprogrammations » offertes. Elle donne la valeur la plus haute à la vie comme aux images. Les deux nous font signes en nous empêchant de croire à leur éternité.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La faim.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je passais plutôt mon temps à élaborer des élucubrations qui n’avaient rien de réalistes ou de réalisables. Des délires faits de mondes miniatures ou fantastiques, portés par mes désirs et ma gourmandise. Finalement, tout cela est peut-être encore présent dans ma pratique, à travers mes sculptures.
A quoi avez-vous renoncé ?
Pour le moment j’ai renoncé à faire des œuvres monumentales, surtout pour des raisons de stockage et de logistique, mais aussi parce j’apprécie la spontanéité des formes aux dimensions plus réduites. J’aime les interactions physiques qui peuvent alors se révéler avec mon propre corps et dans un second temps avec celui du spectateur.
D’où venez-vous ?
D’une famille comme les autres, faite de personnalités fortes et effacées, formant un équilibre instable et borné par un bon sens « paysan ».
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La pugnacité …et une gazinière.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Je ne sais pas trop : peut-être cette impression qu’apporte une vie tranquille et sans projet ou la sérénité des morts.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
L’alcool (mais j’évite autant que possible que ce plaisir soit quotidien).
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Le fait d’être plasticienne ! Je n’écris que quelques poèmes qui sortent rarement de mes carnets, j’écris des courriels et bien sûr des textes universitaires quand des sujets ou des œuvres m’interpellent. L’écriture m’accompagne en permanence dans mes recherches plastiques ou théoriques mais je ne saurais pas me définir comme écrivaine.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Il me semble que c’était un ensemble de sculpture à la Tate Modern de Londres, j’étais seule et je suis rentrée dans la salle de Giacometti. Ses sculptures me faisaient face comme les grands arbres d’une forêt ancrée dans le sol, cela me donnait le vertige. Ils semblaient être là depuis toujours et moi de passage.
Et votre première lecture ?
Les fleurs du Mal de Baudelaire. Il s’agissait d’un livre ancien déposé sur un guéridon pour décorer la maison familiale. Un livre aux pages jaunies qui sentait la moisissure et qui, à cet endroit, ne semblait pas vraiment être destiné à la lecture. Je me rappelle surtout du poème sur la charogne qui me fascinait.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute un peu de tout mais, au sein de l’atelier, j’aime me repasser des vielles cassettes : des Béruriers Noirs, Janis Joplin, The Clash, Pixies, Ween, Tom Waits, Robert Wyatt, Lukrate Milk, Erik Satie… J’ai des petites habitudes, j’aime souvent commencer une séance de travail par « la valse de Melody » de Gainsbourg.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je lis rarement plusieurs fois le même livre mais cela a dû m’arriver avec le livre La métaphysique de Mou de Jean-Baptiste Botul (sous la plume de Fréderic Pagès). D’abord parce que ce livre est très court mais aussi vraiment drôle et intelligent. Il propose une approche sensible de la matière qui nous permet d’envisager des liens avec notre propre corporéité, en évoquant le fait de palper, de peloter son monde.
Quel film vous fait pleurer ?
J’ai la larme tellement facile que j’aurais tendance à dire : plein ! Le dernier en date est le film de Xavier Dolan, Mommy.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une autre.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mes parents. C’est tellement lourd l’écriture que je ne saurais leur écrire (du moins autre chose que des banalités comme nous pouvons le faire dans une carte postale).
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le cirque du bout du monde en Côte d’Or. J’y allais parfois quand j’étais petite et on cherchait à me convaincre que c’était vraiment le bout du monde… Il s’agissait d’une cascade, d’une grotte, d’une nature humide qui m’évoque encore une situation originelle (ou un tableau de Courbet au cadrage resserré et renversant)
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Plein et je dirais dans le désordre : Elsa Sahal, Louis Fortier, Tatiana Trouvé, Bart Hess, Berlinde de Bruyckere, Denis Rousseau mais aussi Steven Marsden parce qu’il a été mon professeur.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
…un mécène à ma table ! Plus sérieusement, je n’ai pas tant besoin de choses mais du temps et de l’espace pour développer plus encore ma création.
Que défendez-vous ?
Une forme de liberté de penser et de faire des choses folles, en pétrissant des matières et des formes, en produisant d’autres corps contraints par des forces libidineuses et féminines.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Le goût pour l’impossible et la misère des sentiments.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Elle m’amuse pour le non-sens qu’elle représente à elle seule.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
De m’interroger sur mon prochain projet ? C’est toujours celui qui m’intéresse le plus, car sur le moment j’ai sans cesse l’espoir qu’il soit le plus abouti, le plus juste, le plus fort. Je travaille actuellement sur des moulages de cagoules que je reproduis en céramique comme s’il s’agissait de formes autonomes. Difficile à décrire mais j’espère efficace dans la forme définitive.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 25 février 2015.
Quand on est “le littéraire”, on devrait savoir écrire dot, sans e, si l’on est doté de quelques connaissances de l’orthographe.
merci, chère madame, de votre aimable retour : soyez rassurée, la faute de frappe présente dans le titre et non dans le corps du texte a été corrigée.