Céline Masson et les devoirs de monstruosité : entretien avec l’artiste

Céline Mas­son — par ses des­sins, vidéos, ins­tal­la­tions, pres­ta­tions scé­nique (avec Flo­rence Gri­vel) et pho­tos — endosse les aveu­gle­ments des autres, met à jour leurs ter­reurs par­faites pour les méta­mor­pho­ser en ravis­se­ments. Si bien qu’on se consume de plai­sir à la seule pen­sée qu’on pour­rait jouir dans la chair de ses divers « monstres ». L’artiste les évoque avec drô­le­rie et imper­ti­nence. Elle plonge ses images dans le vinaigre en poé­tesse plus qu’en cui­si­nière. Chaud devant !
Les feuillets du corps laissent l’air les tra­ver­ser, et enva­hir l’espace. Entre la ville et la cam­pagne, entre fro­mage ou des­sert, c’est cham­pagne pour tout le monde. Du moins pour tous ceux qui ne sont pas revêches aux spé­cu­la­tions visuelles. A mesure que l’œuvre avance, la plas­ti­cienne ose tout. Quelqu’un se montre en elle : gor­gone, méduse, mélu­sine, c’est tout comme. Fini l’époque des cru­ci­fixions : celui des révé­la­tions inno­centes ou non est venu. Aimante et conqué­rante l’artiste avale le temps.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La sur­prise du jour, le devoir, le sexe et l’envie de manger.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je les réa­lise enfin main­te­nant, libé­rée de mes a priori d’adulte, de ma condi­tion sociale.

À quoi avez-vous renoncé ?
À ne pas être un ani­mal qui doit sur­vivre, presque simplement.

D’où venez-vous ?
D’une époque et d’un milieu de sau­vages où le pire comme le meilleur exis­taient sans compromis.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’ouverture d’esprit et la folie joyeuse de mon père, la force de tra­vail de ma mère, et très peu de biens matériels.

Qu’avez-vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
L’esprit de la norme.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
…La ciga­rette, et l’opportunité de me deman­der ce que j’ai envie de manger.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Ma monstruosité…

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
L’ombre des feuillages sur les murs de ma chambre de petite fille la nuit quand j’étais cou­chée dans mon lit. Les phares des voi­tures pas­saient sur la route voi­sine de la mai­son pour éclai­rer très rapi­de­ment les arbres du jar­din et pro­je­ter leurs ombres sur ce mur. J’adorais voir ce pas­sage de formes, comme un film d’animation. Ces images me fas­cinent toujours.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Jojo Lapin”, car je n’ai jamais com­pris la pre­mière phrase des livres qui était la sui­vante : “Jojo Lapin naquit à l’âge de sept ans.” Je me deman­dais tou­jours com­ment sa maman avait gar­der Jojo dans son ventre pen­dant ces sept années… Mon pre­mier rap­port à un monstre…

Com­ment pourriez-vous défi­nir vos devoirs de mons­truo­sité ?
Comme une zone d’inconfort, le seul endroit où il faut abso­lu­ment aller, car il réveille nos esprits. Comme une chose impos­sible à évi­ter, comme un besoin essen­tiel à assouvir.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Du rock, de la pop, par­fois de la gug­gen musique, et des musiques traditionnelles…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je n’aime pas relire des livres que j’ai aimés, car j’ai une bonne mémoire et je n’aime pas reve­nir sur les images que les mots m’ont pro­cu­rées. Je pré­fère revoir des livres d’artistes ou des vidéos dans les­quelles je découvre tou­jours quelque chose de nou­veau au fil du temps.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Polisse” de Maï­wen, “Fes­ten” de Tho­mas Vinterberg,

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme qui me plaît de plus en plus. Par­fois, le reflet de ma famille, ma fille…

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À Louise Bour­geois. Paula Rego…

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La mai­son de mon enfance à Vufflens-le-château qui aujourd’hui est deve­nue un res­tau­rant gastronomique.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Louise Bour­geois, Sophie Calle, Roman Signer, les Dadaïstes, l’énergie hal­lu­ci­nante et les effets simple du cinéma de Georges Méliès, Char­lie Cha­plin pour le per­son­nage décalé qu’il est devenu. Jacques Tati, Pier Paolo Paso­lini, Zouc…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
De l’espace-temps.

Que défendez-vous ?
L’image rusée, vive, intel­li­gente, qui ne nous prend pas pour des imbé­ciles. Les zones d’inconfort intel­lec­tuelles et émo­tion­nelles. La parole pour faire front à la vio­lence. L’empathie, la bienveillance.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Dom­mage pour l’amour…

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
J’adore !

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
J’hésite encore…

Pré­sen­ta­tion et entre­tiens réa­lisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com,   le 16 février 2015

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