Bruno Krebs, L’île Blanche

Les Mélu­sines de Mon­sieur K

Bruno Krebs est né en 1953, entre Pont-Aven et Port-Manech, sur les rives de l’Aven. En 1971, il entre­prend la rédac­tion du Voyage en barque. Une par­tie de ces deux ou trois mille récits brefs a été régu­liè­re­ment publiée, soit en revues soit sous forme de recueils chez Dey­rolle puis à L’Arpenteur : Rai­son per­due, Dans la nuit des che­vaux, La Mer du Japon, Chute libre, La Tra­ver­sée nue, Sans rive. Il a publié aussi un superbe por­trait poé­tique du pia­niste et jazz­man blanc Bill Evans.
Entre dérai­son et ten­ta­tion, vers livres et éche­ve­lés, L’Ile Blanche  pro­pulse – par son extrême mobi­lité  –  reines et fou (Krebs him­self). Ils s’affrontent ou se conjuguent entre les vivants et les morts, là où les mots butent à cloche-pied, là où les légendes roulent leurs chi­mères dans les aiguillages de l’insomnie. Une Lil­lith pose ses lèvres d’iris noir sur un drôle d’oiseau qui pour­rait deve­nir son mes­sa­ger. Sous son regard en insur­rec­tion, les échos de l’année épui­sée s’érodent, les mots se chu­chotent dans l’écume des étoiles de mère. Le lec­teur entend les accords dans le chant des sirènes, il écoute gémir les grands voi­liers et les radeaux qui craquent. Des Gor­gones volent le tri­dent de Nep­tune et les cordes du pos­sible. La folie rit der­rière son masque, les plombs pètent ou fondent là où un Pont des Sou­pirs déplacé tente de relier le réel à l’imaginaire.

Sous l’effet de la folie du texte, les oracles se taisent. Krebs, tel un loup, hurle la sen­sua­lité et sa foudre en arpèges sau­vages au moment où cer­taines de ses femmes ont des yeux de varech et des che­veux d’écume. Sur le cla­vier de l’océan, l’Ile Blanche per­pé­tue sa danse en un feu de soleil noir. Le nar­ra­teur la tra­verse comme il par­court le temps à le recherche d’un Nord qu’il a depuis long­temps perdu.
Tout en pompes et cir­cons­tances proto-poétiques, le texte va l’amble, s’emballe. Le poète y court après son ombre afin que le bal des Méduses soit ouvert à lui. De telles traî­tresses, il saura les séduire : sa poé­sie rétive laisse sen­sible à la confu­sion des affects et à leur com­mu­nion dans le bac obs­cur d’un hôtel dit de charmes. Nul doute que cer­taines se feront pour lui cha­noi­nesses au lutrin ban­cal. Leur peau y cher­chera l’ivresse qui ne sera plus celle de l’encens. Sous leur cha­suble trouée, la main aux doigts de sel passe la douane des chimères.

jean-paul gavard-perret

Bruno Krebs, L’île Blanche, L’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, 208 pages, , 2015, 20,00 €.

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