Andreas Eschbach, Jésus vidéo

Un envoû­tant voyage au royaume de l’impensable et de l’absurde qui nous en dit plus long que les Evan­giles sur ce que n’a pas été Jésus Christ

Quel est le visage authen­tique de Jésus Christ ? Com­ment le Christ se comporte-t-il lors de ses prêches de Caphar­naüm ? A quoi res­semblent, fixés sur une pel­li­cule du futur, les faits et gestes de la source du chris­tia­nisme ? Autant de ques­tions qui ont l’air dépla­cées ou sur­gies d’une ima­gi­na­tion fan­tai­siste, mais qui sont iné­luc­tables dès lors qu’on découvre lors de fouilles archéo­lo­giques en Israël à l’époque contem­po­raine un sque­lette datant de 2000 ans et dont tout porte à croire qu’il s’agit d’un homme ayant vécu au ving­tième siècle !
L’attestent non seule­ment les signes de soins cor­po­rels sup­po­sant une tech­no­lo­gie évo­luée mais sur­tout, déposé en offrande funé­raire, un livret d’utilisation d’une caméra qui n’existera que trois ans après sa décou­verte par le jeune Ste­phen Foxx…

On se dit d’emblée qu’en par­tant d’un tel scé­na­rio, rocam­bo­lesque à sou­hait, un écri­vain de science-fiction — aussi doué soit-il — ne peut que s’empêtrer dans des contra­dic­tions et lais­ser retom­ber, tôt ou tard, aussi bien le rythme que la ten­sion dra­ma­tique du récit. Gros­sière erreur. Car Andreas Esch­bach, pape de la SF alle­mande qui n’en est pas à son coup d’essai (voir Des Mil­liards de tapis de che­veux), s’ingénie ici à déployer une his­toire qui tient haut la main les folles et tré­pi­dantes pro­messes du départ.
Pas un seul ins­tant le scé­na­rio ne se relâche ; jamais il ne vient à l’esprit de se deman­der où le roman­cier veut nous emme­ner. Au coeur des mul­tiples para­doxes tem­po­rels impli­qués par le voyage dans le temps d’un homme du futur fil­mant caméra au poing les ser­mons du Christ, les inter­ven­tions suc­ces­sives d’un magnat des médias amé­ri­cains et de ses hommes de main peu scru­pu­leux, de membres de l’ancienne Inqui­si­tion prêts à tout pour récu­pé­rer la caméra et l’enregistrement si déci­sifs, Esch­bach pro­duit un véri­table feu d’artifice littéraire.

Relé­guant le suaire de Turin au rang d’un amu­se­ment sans consé­quence, Jésus vidéo se lit en ce sens comme un thril­ler à la sauce archéo-techno-théologique où les atten­dus du genre sont res­pec­tés. Et rele­vés par une mise en boucle des séquences qui rend hom­mage au “cir­cuit fermé” propre à tout time-travel qui se res­pecte. Il faut pré­ci­ser d’ailleurs que ce récit, si l’on excepte le pos­tu­lat d’ “anti­ci­pa­tion” du départ, se par­court sans être pour autant de la “pure” ou de la “dure” SF. Moins délire plus ou moins orga­nisé que dérou­le­ment logique des pré­sup­po­sés ini­tiaux, Jésus vidéo, c’est sa force, peut être lu tant par des ama­teurs du genre fan­tas­tique que des afi­cio­na­dos du roman poli­cier (ou “his­to­rique”) en géné­ral. Mais aussi bien, par des agnos­tiques pro­fonds comme des croyants convain­cus.
Enri­chie par les inter­pré­ta­tions, les hési­ta­tions d’un écri­vain de SF alle­mand, Peter Eisen­hardt, emporté dans la tour­mente, cette his­toire pousse le jeu de miroir à son comble pour accou­cher de thèses qui mettent en accu­sa­tion la res­pon­sa­bi­lité de l’Eglise romaine et du capi­ta­lisme amé­ri­cain en matière de ges­tion du patri­moine de l’humanité. Le chris­tia­nisme est éta­bli depuis 2000 ans et ce qui dure aussi long­temps dure éter­nel­le­ment. La vérité, c’est que la per­son­na­lité du fon­da­teur ne joue stric­te­ment aucun rôle. Au contraire, il est bon que celui qui est source de tout demeure inconnu, insai­sis­sable — com­ment aurait-il pu, sinon, deve­nir cette idole surhumaine ?

Ainsi, tirée à hue et à dia par des com­man­dos sec­taires de tout crin, l’image tech­no­lo­gique du Jésus véri­dique et his­to­rique doit-elle s’abaisser devant l’image sacri­fi­ca­toire mythique for­gée par ses propres épi­gones. Un envoû­tant voyage au royaume de l’impensable et de l’absurde qui nous en dit plus long que les Evan­giles sur ce que n’a pas été Jésus-Christ. Et sur ce qu’il est devenu, idole néces­saire confec­tion­née à la suite d’un lent et métho­dique tra­vail de tra­ves­tis­se­ment mené par le Vati­can afin d’asseoir son empire sur le monde.
Avec la tra­duc­tion fran­çaise de cet opus, celui qui a reçu le prix Ima­gi­naire 2001 pour Des mil­liards de tapis de che­veux revient de manière fra­cas­sante sur le devant de la scène édi­to­riale SF. Jésus vidéo est l’un des rares livres de l’année qui vous scotche à votre fau­teuil, vous fai­sant oublier le temps qui passe ou qu’il fait tant que vous ne serez pas par­venu au terme de votre lecture.

Une ver­sion video-live de la “mort de Dieu” à décou­vrir dès que possible.

fre­de­ric grolleau

Andreas Esch­bach, Jésus vidéo, L’Atalante, mars 2001, 597 p. — 23,00 €.

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Filed under Science-fiction/ Fantastique etc.

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