Un envoûtant voyage au royaume de l’impensable et de l’absurde qui nous en dit plus long que les Evangiles sur ce que n’a pas été Jésus Christ
Quel est le visage authentique de Jésus Christ ? Comment le Christ se comporte-t-il lors de ses prêches de Capharnaüm ? A quoi ressemblent, fixés sur une pellicule du futur, les faits et gestes de la source du christianisme ? Autant de questions qui ont l’air déplacées ou surgies d’une imagination fantaisiste, mais qui sont inéluctables dès lors qu’on découvre lors de fouilles archéologiques en Israël à l’époque contemporaine un squelette datant de 2000 ans et dont tout porte à croire qu’il s’agit d’un homme ayant vécu au vingtième siècle !
L’attestent non seulement les signes de soins corporels supposant une technologie évoluée mais surtout, déposé en offrande funéraire, un livret d’utilisation d’une caméra qui n’existera que trois ans après sa découverte par le jeune Stephen Foxx…
On se dit d’emblée qu’en partant d’un tel scénario, rocambolesque à souhait, un écrivain de science-fiction — aussi doué soit-il — ne peut que s’empêtrer dans des contradictions et laisser retomber, tôt ou tard, aussi bien le rythme que la tension dramatique du récit. Grossière erreur. Car Andreas Eschbach, pape de la SF allemande qui n’en est pas à son coup d’essai (voir Des Milliards de tapis de cheveux), s’ingénie ici à déployer une histoire qui tient haut la main les folles et trépidantes promesses du départ.
Pas un seul instant le scénario ne se relâche ; jamais il ne vient à l’esprit de se demander où le romancier veut nous emmener. Au coeur des multiples paradoxes temporels impliqués par le voyage dans le temps d’un homme du futur filmant caméra au poing les sermons du Christ, les interventions successives d’un magnat des médias américains et de ses hommes de main peu scrupuleux, de membres de l’ancienne Inquisition prêts à tout pour récupérer la caméra et l’enregistrement si décisifs, Eschbach produit un véritable feu d’artifice littéraire.
Reléguant le suaire de Turin au rang d’un amusement sans conséquence, Jésus vidéo se lit en ce sens comme un thriller à la sauce archéo-techno-théologique où les attendus du genre sont respectés. Et relevés par une mise en boucle des séquences qui rend hommage au “circuit fermé” propre à tout time-travel qui se respecte. Il faut préciser d’ailleurs que ce récit, si l’on excepte le postulat d’ “anticipation” du départ, se parcourt sans être pour autant de la “pure” ou de la “dure” SF. Moins délire plus ou moins organisé que déroulement logique des présupposés initiaux, Jésus vidéo, c’est sa force, peut être lu tant par des amateurs du genre fantastique que des aficionados du roman policier (ou “historique”) en général. Mais aussi bien, par des agnostiques profonds comme des croyants convaincus.
Enrichie par les interprétations, les hésitations d’un écrivain de SF allemand, Peter Eisenhardt, emporté dans la tourmente, cette histoire pousse le jeu de miroir à son comble pour accoucher de thèses qui mettent en accusation la responsabilité de l’Eglise romaine et du capitalisme américain en matière de gestion du patrimoine de l’humanité. Le christianisme est établi depuis 2000 ans et ce qui dure aussi longtemps dure éternellement. La vérité, c’est que la personnalité du fondateur ne joue strictement aucun rôle. Au contraire, il est bon que celui qui est source de tout demeure inconnu, insaisissable — comment aurait-il pu, sinon, devenir cette idole surhumaine ?
Ainsi, tirée à hue et à dia par des commandos sectaires de tout crin, l’image technologique du Jésus véridique et historique doit-elle s’abaisser devant l’image sacrificatoire mythique forgée par ses propres épigones. Un envoûtant voyage au royaume de l’impensable et de l’absurde qui nous en dit plus long que les Evangiles sur ce que n’a pas été Jésus-Christ. Et sur ce qu’il est devenu, idole nécessaire confectionnée à la suite d’un lent et méthodique travail de travestissement mené par le Vatican afin d’asseoir son empire sur le monde.
Avec la traduction française de cet opus, celui qui a reçu le prix Imaginaire 2001 pour Des milliards de tapis de cheveux revient de manière fracassante sur le devant de la scène éditoriale SF. Jésus vidéo est l’un des rares livres de l’année qui vous scotche à votre fauteuil, vous faisant oublier le temps qui passe ou qu’il fait tant que vous ne serez pas parvenu au terme de votre lecture.
Une version video-live de la “mort de Dieu” à découvrir dès que possible.
frederic grolleau
Andreas Eschbach, Jésus vidéo, L’Atalante, mars 2001, 597 p. — 23,00 €.