Paul Gauguin à la fondation Beyeler

Le dépla­ce­ment de soi et de la peinture

Un des hauts moments de la « muséa­lité » euro­péenne a lieu cette année à la fon­da­tion Beye­ler de Bâle. Sont réunis cin­quante chefs-d’œuvre de Gau­guin venus des grands musées et des plus grandes col­lec­tions du monde. Se découvre – ou redé­couvre – com­ment l’artiste ouvrit à la fois un en-deçà et un au-delà de la pein­ture. L’œuvre reste à ce titre (entre autres) capi­tale dans l’évolution de la pein­ture. Les œuvres n’allaient plus pou­voir s’enfiler comme des perles d’un col­lier selon une conti­nuité apai­sée. Gau­guin dépassa et balaya son temps. Son pro­jet fut lit­té­ra­le­ment insensé. Il apprit à ne pas repas­ser par les mêmes points et pré­para le virage du sens de la pein­ture et la porta vers d’autres attentes.

Avec Gau­guin la pein­ture déborde l’espace et le temps selon une liberté qui à la fois fait remon­ter l’image à sa source tout en la pous­sant là où elle ne pou­vait se pen­ser encore. Les cou­leurs écla­tantes, leurs formes élé­men­taires qui ont révo­lu­tionné l’art gardent toute leur force. A tra­vers les auto­por­traits, les pay­sages vision­naires et spi­ri­tuels du séjour en Bre­tagne et bien sûr les por­traits fémi­nins qua­si­ment éro­tiques au sein de pay­sages para­di­siaques prouvent com­ment la pein­ture échappa aux rhé­teurs qui la fai­saient cou­ler selon le flot mesuré d’un fleuve pai­sible. La pein­ture devint alors l’élaboration d’un « spec­tacle » idyl­lique, qua­si­ment « new-age » au pas­sage, dépouillé des attaches, des adhé­rences, des adhé­sions académiques.

L’achar­ne­ment de Gau­guin à déri­ver des normes lui per­mit non seule­ment de « rein­ven­ter » la pein­ture mais de réin­ves­tir l’âme et non seule­ment de la séduire. celle-ci ne se laisse pas de fait inves­tir par un seul mou­ve­ment de reprise. Il fal­lut un lan­gage à la fois humble et inédit pour la faire jaillir libre­ment dans des flo­rai­sons de nou­velles signi­fiances. Gau­guin la trouva. Son œuvre per­dure  dans une esthé­tique qui fut autant une éthique. Les deux furent sau­vages : elles font bou­ger encore  bien des lignes.

jean-paul gavard-perret

Paul Gau­guin, Expo­si­tion, 8 février — 28 juin 2015, Fon­da­tion Beye­ler, Bâle.
Cata­logue édité par Hatje Cantze, Ostil­dern, 2015, 230 p. - 68,00 €.

1 Comment

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One Response to Paul Gauguin à la fondation Beyeler

  1. Villeneuve

    La mul­ti­forme expo de la fon­da­tion Beye­ler épouse au mieux le texte de JPGP . J’ajouterai des remarques sub­jec­tives : l’indien Gau­guin , en son XIX ième siècle , a dépassé Camille Pis­sarro et fut pré­cur­seur du cubisme avant Cézanne . Voyez donc ” Le Christ au jar­din des oli­viers ” qui vaut bien la mon­tagne Sainte Vic­toire tant aimée de Picasso …

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