Michel Bourçon, le rupestre du futur : entretien avec l’auteur (Jean Rustin, La vie échouée)

Michel Bour­çon comme cha­cun de nous est  pour­suivi par des fan­tômes et leurs « bras » : ceux des arbres dans Et ainsi les arbres  et ceux que nous serons — si nous sui­vons la “pente” que Rus­tin envi­sage dans ses “mou­roirs” et que Bour­çon évoque dans son essai poé­tique sur le peintre. Autour de ces ecto­plasmes flotte néan­moins  une forme de volupté. Michel Bour­çon sug­gère com­ment l’angoisse peut se trans­for­mer en élan. Se frot­ter à elle au-delà de la souf­france qui divise le ciel per­met d’en empor­ter le quo­tient et de for­ger une pous­sée vers l’ailleurs.
Qu’est-ce en effet que le poème si ce n’est cet espace-temps auquel la « musique »  donne des repères ou un plein par effets de bandes  ou d’isolement ? Halo sen­ti­men­tal,  sym­bole de vie, la poé­sie n’est pa seul refuge de l’intimité de la nature ou simple miroir de l’ego.  Elle fait émer­ger les afflux de « sons fon­da­men­taux » (Beckett).
 

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La son­ne­rie du radio-réveil! Plus sérieu­se­ment (ou plus tris­te­ment), le fait d’avoir à aller gagner ma vie, même si celle-ci m’a pour­tant été don­née voilà plus d’un demi-siècle, à pré­sent. A part cela, voir gran­dir mon fils et tout ce que je peux encore apprendre, décou­vrir. J’espère ne jamais étan­cher cette soif, jusqu’à la grande nuit sans étoiles.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Un s’est concré­tisé, celui d’écrire des poèmes, les publier, être un artiste, même si, à l’origine, mon rêve était plu­tôt de deve­nir peintre que poète. En tout cas, je ne me suis jamais pro­jeté dans une car­rière, une profession.

A quoi avez-vous renoncé ?
Eh bien, on revient ici aux rêves d’enfant, j’ai renoncé défi­ni­ti­ve­ment à être chan­teur de rock, puisque je suis inca­pable de mon­ter sur scène, affron­ter un public, trop timide, le gar­çon. Je l’ai été très long­temps, devant mon armoire à glaces, avec un micro ima­gi­naire dans les mains, ou encore en exé­cu­tant d’improbables solos sur une gui­tare en car­ton.
J’ai renoncé aussi à être Kwaï Chang Caine (le héros de la série Kung Fu, inter­prété par le regretté David Car­ra­dine), ce prêtre Shao­lin, expert en kung fu, élevé et entraîné en Chine, mais qui a dû quit­ter le pays après avoir vengé la mort d’un de ses maîtres, en tuant le neveu de l’empereur. Il décide de retour­ner vivre aux Etats-Unis pour ten­ter de retrou­ver son frère, mène une vie faite d’errance, de ren­contres, d’amour par­fois. J’ai adoré ce per­son­nage et me suis com­plè­te­ment iden­ti­fié à lui, y com­pris sa facette spi­ri­tuelle, je n’imaginais pas ma vie future, autre que la sienne ; je dois consta­ter que, sur ce plan, j’ai échoué.

D’où venez-vous ?
Du ventre de ma mère.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Ce qui me vient là, main­te­nant, c’est le mot fidé­lité (je n’ai rien d’un papillon), fidé­lité donc en amour, en ami­tié, à mes idées, ma façon de voir le monde, à mes goûts, même s’ils évo­luent avec le temps ; et aussi le mot curio­sité, car je m’intéresse énor­mé­ment au tra­vail des autres, dans le domaine de la musique, des lettres, du cinéma et des arts plas­tiques. Appa­rem­ment, j’ai reçu aussi le don d’observation, on me l’a dit, souvent.

Qu’avez-vous dû pla­quer pour votre tra­vail ?
S’il s’agit de mon tra­vail ali­men­taire, alors j’ai dû pla­quer beau­coup de temps que je ne consa­crais pas à écrire, décou­vrir, res­sen­tir, me pro­me­ner, lire etc. Tra­vailler pour un patron est pour moi vrai­ment du temps gas­pillé à ne pas vivre, tout sim­ple­ment et d’ailleurs, l’abêtissement n’est jamais loin. S’il s’agit de mon tra­vail artis­tique, lit­té­raire, alors, je plaque des plages de temps à ne rien faire du tout, ou encore aller à la pêche, me dis­traire, mais ce tra­vail m’apporte tant, même si pas d’argent. Je pense, par exemple, aux ren­contres, les ami­tiés qui se créent, répondre à cet entretien.

Un petit plai­sir, quo­ti­dien ou non ?
J’aime le très bon café que je com­mande à un tor­ré­fac­teur pari­sien et aussi, la sieste.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Je ne pense pas que ce soit à moi de le dire, plu­tôt aux cri­tiques qui, la plu­part du temps, m’éclairent sur ce que je fais, vous peut-être, cher Jean-Paul ? Ceci dit (on me le dit sou­vent), j’ai un ton bien à moi, une voix reconnaissable.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
D’aussi loin que je me souvienne,(j’en reviens encore à l’enfance), l’image, ou plu­tôt les images qui furent à l’origine de mon pre­mier choc esthé­tique, furent les pein­tures rupestres de Las­caux, décou­vertes en vision­nant un film, en classe de pri­maire, puis des livres. Aujourd’hui encore, avec le film bou­le­ver­sant de Wer­ner Her­zog « La grotte des rêves per­dus »(grotte Chau­vet), je pense que l’on n’a jamais fait mieux, ce que l’on peut voir là est d’une telle moder­nité, et, excepté au cinéma, je n’ai jamais eu les larmes aux yeux devant la moindre œuvre d’art, autre que celles de nos loin­tains ancêtres.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Les his­toires extra­or­di­naires” d’Edgar Allan Poe, qui furent à l’origine de ma pas­sion pour la lit­té­ra­ture fan­tas­tique. J’ai lu, je crois, tout ce qui compte dans ce domaine ; ensuite, et même ce qui ne compte pas, de la lit­té­ra­ture fan­tas­tique de gare, éga­le­ment, durant toute mon ado­les­cence, et même au-delà.

Pour­quoi votre atti­rance vers le tra­vail de Rus­tin ?
Je l’ai décou­vert par hasard, sur Face­book, il y a deux ans, et cela a été tout de suite un grand choc pour moi, au point de lire et vision­ner tout ce que je pou­vais trou­ver sur lui et d’essayer d’entrer en contact avec lui. Mon atti­rance se porte sur sa seconde période(figurative), la pre­mière, abs­traite, me laisse indif­fé­rent. Je n’ai, hélas !, pas eu le temps de le ren­con­trer, il était déjà très malade quand je l’ai décou­vert, je sais qu’il a lu et appré­cié mon texte, non encore publié, à l’hôpital, quelques semaines avant sa dis­pa­ri­tion.
Je n’ai pas décidé d’écrire à pro­pos de son tra­vail, cela s’est imposé à moi. Sa pein­ture est d’une force inouïe. Sou­vent com­paré (à tort, je trouve) à Fran­cis Bacon, Rus­tin est pour moi supé­rieur à lui, c’est vrai­ment le peintre de la condi­tion humaine.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Tout le blues rural du début du 20ème siècle, celui du delta du Mis­sis­sipi, au Royaume-Uni des groupes ou artistes tels que Dakota Suite, Mog­waï, aux Etats-Unis, Neil Young, Sonic Youth, Smog, Bonnie-Prince Billy etc., en France, Syl­vain Chau­veau, Astrïd, le groupe Men­del­son, Michel Cloup, Arnaud Mich­niak, Domi­nique A, Ber­trand Belin, com­bien d’autres encore, et puis, comme cette liste manque de femmes, je ne peux m’empêcher de citer la Fin­lan­daise d’origine Ethio­pienne, Mirel Wag­ner, qui est mon gros coup de cœur depuis 2011.Elle pra­tique un folk blues sépul­cral, écrit des chan­sons ter­ribles, magni­fiques, dénu­dées, seule­ment accom­pa­gnée de sa gui­tare. Tout comme pour Rus­tin, je n’ai pas décidé d’écrire à pro­pos de son tra­vail et de sa voix, encore une fois, cela s’est imposé à moi  (le texte est inédit, je ne sais à qui le pro­po­ser) [ndlr : il est depuis cet entre­tien consul­table ici, dans les colonnes de lelitteraire.com ]

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Le pois­son Scor­pion »
de Nico­las Bou­vier. Je n’ai jamais rien lu de tel sur la soli­tude, l’isolement de l’écrivain, c’est aussi le récit d’un séjour exo­tique, le voyage inté­rieur d’un homme et, quelle langue savou­reuse! En fait, j’aime relire tout Bouvier !

Quel film vous fait pleu­rer ?
« La ques­tion humaine »
de Nico­las Klotz, avec, entre autres, Michael Lons­dale et Mathieu Amal­ric. Un film puis­sant, qui me hante depuis 2007, où un psy­cho­logue tra­vaillant au dépar­te­ment des res­sources humaines d’un com­plexe pétro­chi­mique se voit chargé d’enquêter sur l’un des diri­geants de l’usine. Peu à peu, on assiste à la fis­su­ra­tion inté­rieure pro­gres­sive, du per­son­nage prin­ci­pal. Tout ce qui avait fait de lui un homme rigou­reux, vacille. J’ajoute que la mise en scène nous prend à la gorge et ne nous lâche plus, même après la pro­jec­tion. Sans doute, le meilleur film fran­çais des années 2000.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir, qui voyez-vous ?
Un homme de bien­tôt 52 ans, dont le corps garde pri­son­nier l’enfant qui bouge tou­jours en lui.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Eh bien, à un maître, tel que Ber­nard Noël. Que puis-je écrire moi, petit mou­che­ron, à un Dieu vivant, même si je sais qu’il aime mon petit livre à pro­pos de Jean Rus­tin (http://www.lelitteraire.com/?p=14095) car mon édi­trice, elle, a osé et que j’ai en ma pos­ses­sion, un double de sa belle réponse. Alors, qui sait, peut-être oserai-je, un jour ?

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le jar­din pota­ger de mon enfance, ter­rain d’aventures, avec, dans le fond, le pou­lailler, les cla­piers, cabanes à outils, ainsi que le gre­nier où j’aimais me retrou­ver seul, en cachette.

Quels sont les artistes et écri­vains  dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Jean-Claude Pirotte (hélas ! dis­paru l’an der­nier), un vrai Papa lit­té­raire pour moi, le grand peintre Jean Rus­tin, même s’il est arrivé trop tar­di­ve­ment dans ma vie, décédé, lui aussi, l’an der­nier et pour n’en citer qu’un autre (ils sont trop nom­breux), Pas­cal Boua­ziz, lea­der du groupe Men­del­son, dont j’adore la musique et ses textes hyperréalistes.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une place à un concert de Mendelson !

Que défendez-vous ?
Le droit de vivre plei­ne­ment mes pas­sions, la liberté d’expression, la tolé­rance, la fra­ter­nité, mes idées, les autres, les valeurs morales, sociales, esthétiques.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : « L’amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Cela m’inspire une réécri­ture de cette phrase : « L’amour, c’est don­ner quelque chose qu’on a à quelqu’un qui sou­vent n’en veut pas ».

Que pensez-vous de celle de Woody Allen : »La réponse est oui, mais quelle était la ques­tion ? »
Allen se moque-t-il de tout entre­tien avec jour­na­liste ? est-ce seule­ment de l’humour à la Woody ?  je ne connais pas le contexte dans lequel il a pu dire ou écrire cette phrase, je ne peux donc pas développer.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Quand trinquons-nous ensemble ?

Entre­tien réa­lisé par  jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 février 2015.

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