Qu’est-ce en effet que le poème si ce n’est cet espace-temps auquel la « musique » donne des repères ou un plein par effets de bandes ou d’isolement ? Halo sentimental, symbole de vie, la poésie n’est pa seul refuge de l’intimité de la nature ou simple miroir de l’ego. Elle fait émerger les afflux de « sons fondamentaux » (Beckett).
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La sonnerie du radio-réveil! Plus sérieusement (ou plus tristement), le fait d’avoir à aller gagner ma vie, même si celle-ci m’a pourtant été donnée voilà plus d’un demi-siècle, à présent. A part cela, voir grandir mon fils et tout ce que je peux encore apprendre, découvrir. J’espère ne jamais étancher cette soif, jusqu’à la grande nuit sans étoiles.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Un s’est concrétisé, celui d’écrire des poèmes, les publier, être un artiste, même si, à l’origine, mon rêve était plutôt de devenir peintre que poète. En tout cas, je ne me suis jamais projeté dans une carrière, une profession.
A quoi avez-vous renoncé ?
Eh bien, on revient ici aux rêves d’enfant, j’ai renoncé définitivement à être chanteur de rock, puisque je suis incapable de monter sur scène, affronter un public, trop timide, le garçon. Je l’ai été très longtemps, devant mon armoire à glaces, avec un micro imaginaire dans les mains, ou encore en exécutant d’improbables solos sur une guitare en carton.
J’ai renoncé aussi à être Kwaï Chang Caine (le héros de la série Kung Fu, interprété par le regretté David Carradine), ce prêtre Shaolin, expert en kung fu, élevé et entraîné en Chine, mais qui a dû quitter le pays après avoir vengé la mort d’un de ses maîtres, en tuant le neveu de l’empereur. Il décide de retourner vivre aux Etats-Unis pour tenter de retrouver son frère, mène une vie faite d’errance, de rencontres, d’amour parfois. J’ai adoré ce personnage et me suis complètement identifié à lui, y compris sa facette spirituelle, je n’imaginais pas ma vie future, autre que la sienne ; je dois constater que, sur ce plan, j’ai échoué.
D’où venez-vous ?
Du ventre de ma mère.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Ce qui me vient là, maintenant, c’est le mot fidélité (je n’ai rien d’un papillon), fidélité donc en amour, en amitié, à mes idées, ma façon de voir le monde, à mes goûts, même s’ils évoluent avec le temps ; et aussi le mot curiosité, car je m’intéresse énormément au travail des autres, dans le domaine de la musique, des lettres, du cinéma et des arts plastiques. Apparemment, j’ai reçu aussi le don d’observation, on me l’a dit, souvent.
Qu’avez-vous dû plaquer pour votre travail ?
S’il s’agit de mon travail alimentaire, alors j’ai dû plaquer beaucoup de temps que je ne consacrais pas à écrire, découvrir, ressentir, me promener, lire etc. Travailler pour un patron est pour moi vraiment du temps gaspillé à ne pas vivre, tout simplement et d’ailleurs, l’abêtissement n’est jamais loin. S’il s’agit de mon travail artistique, littéraire, alors, je plaque des plages de temps à ne rien faire du tout, ou encore aller à la pêche, me distraire, mais ce travail m’apporte tant, même si pas d’argent. Je pense, par exemple, aux rencontres, les amitiés qui se créent, répondre à cet entretien.
Un petit plaisir, quotidien ou non ?
J’aime le très bon café que je commande à un torréfacteur parisien et aussi, la sieste.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne pense pas que ce soit à moi de le dire, plutôt aux critiques qui, la plupart du temps, m’éclairent sur ce que je fais, vous peut-être, cher Jean-Paul ? Ceci dit (on me le dit souvent), j’ai un ton bien à moi, une voix reconnaissable.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
D’aussi loin que je me souvienne,(j’en reviens encore à l’enfance), l’image, ou plutôt les images qui furent à l’origine de mon premier choc esthétique, furent les peintures rupestres de Lascaux, découvertes en visionnant un film, en classe de primaire, puis des livres. Aujourd’hui encore, avec le film bouleversant de Werner Herzog « La grotte des rêves perdus »(grotte Chauvet), je pense que l’on n’a jamais fait mieux, ce que l’on peut voir là est d’une telle modernité, et, excepté au cinéma, je n’ai jamais eu les larmes aux yeux devant la moindre œuvre d’art, autre que celles de nos lointains ancêtres.
Et votre première lecture ?
“Les histoires extraordinaires” d’Edgar Allan Poe, qui furent à l’origine de ma passion pour la littérature fantastique. J’ai lu, je crois, tout ce qui compte dans ce domaine ; ensuite, et même ce qui ne compte pas, de la littérature fantastique de gare, également, durant toute mon adolescence, et même au-delà.
Pourquoi votre attirance vers le travail de Rustin ?
Je l’ai découvert par hasard, sur Facebook, il y a deux ans, et cela a été tout de suite un grand choc pour moi, au point de lire et visionner tout ce que je pouvais trouver sur lui et d’essayer d’entrer en contact avec lui. Mon attirance se porte sur sa seconde période(figurative), la première, abstraite, me laisse indifférent. Je n’ai, hélas !, pas eu le temps de le rencontrer, il était déjà très malade quand je l’ai découvert, je sais qu’il a lu et apprécié mon texte, non encore publié, à l’hôpital, quelques semaines avant sa disparition.
Je n’ai pas décidé d’écrire à propos de son travail, cela s’est imposé à moi. Sa peinture est d’une force inouïe. Souvent comparé (à tort, je trouve) à Francis Bacon, Rustin est pour moi supérieur à lui, c’est vraiment le peintre de la condition humaine.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Tout le blues rural du début du 20ème siècle, celui du delta du Mississipi, au Royaume-Uni des groupes ou artistes tels que Dakota Suite, Mogwaï, aux Etats-Unis, Neil Young, Sonic Youth, Smog, Bonnie-Prince Billy etc., en France, Sylvain Chauveau, Astrïd, le groupe Mendelson, Michel Cloup, Arnaud Michniak, Dominique A, Bertrand Belin, combien d’autres encore, et puis, comme cette liste manque de femmes, je ne peux m’empêcher de citer la Finlandaise d’origine Ethiopienne, Mirel Wagner, qui est mon gros coup de cœur depuis 2011.Elle pratique un folk blues sépulcral, écrit des chansons terribles, magnifiques, dénudées, seulement accompagnée de sa guitare. Tout comme pour Rustin, je n’ai pas décidé d’écrire à propos de son travail et de sa voix, encore une fois, cela s’est imposé à moi (le texte est inédit, je ne sais à qui le proposer) [ndlr : il est depuis cet entretien consultable ici, dans les colonnes de lelitteraire.com ]
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Le poisson Scorpion » de Nicolas Bouvier. Je n’ai jamais rien lu de tel sur la solitude, l’isolement de l’écrivain, c’est aussi le récit d’un séjour exotique, le voyage intérieur d’un homme et, quelle langue savoureuse! En fait, j’aime relire tout Bouvier !
Quel film vous fait pleurer ?
« La question humaine » de Nicolas Klotz, avec, entre autres, Michael Lonsdale et Mathieu Amalric. Un film puissant, qui me hante depuis 2007, où un psychologue travaillant au département des ressources humaines d’un complexe pétrochimique se voit chargé d’enquêter sur l’un des dirigeants de l’usine. Peu à peu, on assiste à la fissuration intérieure progressive, du personnage principal. Tout ce qui avait fait de lui un homme rigoureux, vacille. J’ajoute que la mise en scène nous prend à la gorge et ne nous lâche plus, même après la projection. Sans doute, le meilleur film français des années 2000.
Quand vous vous regardez dans un miroir, qui voyez-vous ?
Un homme de bientôt 52 ans, dont le corps garde prisonnier l’enfant qui bouge toujours en lui.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Eh bien, à un maître, tel que Bernard Noël. Que puis-je écrire moi, petit moucheron, à un Dieu vivant, même si je sais qu’il aime mon petit livre à propos de Jean Rustin (http://www.lelitteraire.com/?p=14095) car mon éditrice, elle, a osé et que j’ai en ma possession, un double de sa belle réponse. Alors, qui sait, peut-être oserai-je, un jour ?
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le jardin potager de mon enfance, terrain d’aventures, avec, dans le fond, le poulailler, les clapiers, cabanes à outils, ainsi que le grenier où j’aimais me retrouver seul, en cachette.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Jean-Claude Pirotte (hélas ! disparu l’an dernier), un vrai Papa littéraire pour moi, le grand peintre Jean Rustin, même s’il est arrivé trop tardivement dans ma vie, décédé, lui aussi, l’an dernier et pour n’en citer qu’un autre (ils sont trop nombreux), Pascal Bouaziz, leader du groupe Mendelson, dont j’adore la musique et ses textes hyperréalistes.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une place à un concert de Mendelson !
Que défendez-vous ?
Le droit de vivre pleinement mes passions, la liberté d’expression, la tolérance, la fraternité, mes idées, les autres, les valeurs morales, sociales, esthétiques.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Cela m’inspire une réécriture de cette phrase : « L’amour, c’est donner quelque chose qu’on a à quelqu’un qui souvent n’en veut pas ».
Que pensez-vous de celle de Woody Allen : »La réponse est oui, mais quelle était la question ? »
Allen se moque-t-il de tout entretien avec journaliste ? est-ce seulement de l’humour à la Woody ? je ne connais pas le contexte dans lequel il a pu dire ou écrire cette phrase, je ne peux donc pas développer.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quand trinquons-nous ensemble ?
Entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 février 2015.