Double bande de Mathieu Mercier
Dans cette exposition, le travail de Mathieu Mercier en tant que « réalisateur » est mis en évidence. S’y retrouve une analyse critique de l’art. Le plasticien se le réapproprie dans une confrontation communicante entre figuration du nu et une forme d’abstraction. L’ensemble amène un nouveau regard sur l’image et ses « données ». Celui qui ne cesse de proposer une réflexion sur la place de l’objet et de l’image dans l’industrie de la consommation et dans le champ de l’art revisite donc ici la fonction de l’image et ce qu’elle soulève.
Pour Sexe, béatitude et logique comptable, l’artiste a sélectionné une série d’œuvres antinomiques. Aux œuvres conceptuelles, sérielles et répétitives de la collection de la galerie « mfc-michèle didier » il oppose (et rapproche) des œuvres érotiques (« Double Bind » de Leigh Ledare, « Mes dessins secrets » d’Annette Messager ou celles de son « Journal » tirées de sa collection privée). Le premier ensemble peut entraîner une vision proche d’une forme de transe visuelle, les secondes des rappels plus « réalistes ». Le rapprochement est incongru et intelligent.
Les secondes sont fascinantes par leur absence de style particulier. Elles « peuvent donner l’impression d’un paradis perdu puisqu’ elles apparaissent datées » dit l’auteur. Moulé dans les lutrins paisibles du langage érotique admis, leur langage est contredit par les premières dont l’abstraction tend à signaler que la bête est morte en l’homme. Il existe donc là une juxtaposition des psaumes et des spasmes, de la chair et de l’altitude, du dépérissement mais tout autant de l’exaltation des apparences. Les images caressent donc différemment mais chacune d’elles parle tout autant. Sur les déserts métriques et sur les creux de la vie ou sur ses pleins s’engrangent des moissons d’incertitudes.
L’œuvre réalisée par Mathieu Mercier devient autant une suite de masques aveugles qu’un mur d’interrogations. Néanmoins, la lucidité prend de biais même ceux qui croient penser droit — entendons les fantômes en logorrhée. Ceux-ci estiment trop vite que plus rien ne les agite et qu’ils ne sont plus que des fornicateurs révolus, des Janus somnolents. Face à eux et leur laïus, le montage crée une poésie critique. Elle balaye les pensées dichotomiques. L’artiste propose un logos visuel furieux et dégingandé. Il fouille et exhume les ténèbres de l’être par des frissons et des rafales. Il faut en suivre les traces.
jean-paul gavard-perret
Mathieu Mercier,
- exposition : Sexe, béatitude et logique comptable,
galerie mfc-michèle didier, Paris, février-mars 2015.
– Journal, 50 exemplaire numérotés et signés, mfc-michèle didier, 2015, 180 p. — 28,00 €.