David Antin : Montage, mouvement
Poète, artiste et critique d’art, David Antin est né en 1932 à New York. Depuis 1968, il vit à San Diego où il enseigna au département art de l’Université de Californie. Ses talks-poems ressemblent aux fragments de Nietzsche : ils contestent l’ « Immaculata » des dogmes. Ils permettent de mettre en exorde les créateurs dissidents et leur quanta de puissance. Dans ce texte l’hommage est porté à George Oppen. Avec ce dialogue (apocryphe ?) : « — David, vous me traitez tous comme un contemporain, mais j’ai l’âge d’être ton père. / — Je ne sais pas. Je n’ai jamais eu de père. » se retrouve ce qui fait l’essence même des « enjambements » et de l’écoute cher à l’auteur. Il a défini dans Accorder avec précision son projet : « Je crois qu’il existe probablement une chose qui s’appelle parler pour découvrir (…). L’invention du moi est une conséquence de ce parler pour découvrir…». C’est là le cœur théorique de son approche. David Antin explore par son « genre » parlé et réécrit (à partir d’un double matériau: enregistrement et souvenir) le temps, ses perceptions, la formation du souvenir et la manière d’offrir leur narration.
Véritables «Thinking-while-talking» — que David Antin tire des Recherches philosophiques et des leçons de Wittgenstein -, ces «investigations» convoquent et imbriquent de manière spéculative, l’art, les sciences, la linguistique et la philosophie, l’épuisement des métaphores et des raisonnements logiques. David Antin prouve que pour être narrateur-parleur il faut beaucoup de chose ; être surtout à la fois philosophe et poète. D’où son admiration pour George Oppen. A travers lui il repose une question essentielle lorsqu’on aborde la philosophie comme la poésie : que dit-on quand on dit l’être ou le réel ?
L’œuvre de David Antin devient le recours contre un abaissement, une chute, une ruine. Tous les créateurs que l’auteur défend sont donc ceux qui retrouvent l’originaire d’une « archi-écriture » — quelle que soit la nature de cette dernière. Antin refuse la propension à croire coller le propos au réel. Il s’agit plutôt de l’arracher non par un appareillage de référence mais dans un montage du mouvement. Une telle narration morcelée suit « à la lettre » les signes qui tombent du temps et de la voix. C’est cette dernière qui serre peut-être de plus près les réels détours de la réalité. Ou des réalités — pour être plus juste – qui indiquent des irrationnels qui s’accompagnent à tout instant (du moins chez Antin et ceux qu’il « défend » et « illustre ») des axes de l’imaginaire du poète. Et c’est ainsi que change la mémoire officielle du temps.
jean-paul gavard-perret
David Antin, 10 pour Georges, Editions Contrat Maint, Toulouse, 2015.