Avec sa Fugue (Editions Paul&Mike) Catherine Quilliet est une révélation de la rentrée littéraire 2015. Ses nouvelles sont autant de nuits d’orages traitées avec humour et énergie. Entre l’humour, la gravité, l’auteure atteint un degré supérieur d’émotion et de vérité sans y toucher. L’écriture englobe et prolonge l’expérience humaine au milieu des forêts à la recherche de la rivière qui les nourrit. Elle se heurte à divers gouffres et méfaits mais cela lui donne son prix.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La faim. Ou, certains jours, l’aiguillon fulgurant d’une urgence, fantasmée ou non, qui me jette les jambes hors de la couette sans que je le décide. Comme souvent, c’est le corps qui déclenche et entraîne — la conscience ne vient qu’après.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Régulièrement remplacés par d’autres rêves d’enfant… Ni regrets ni trahison.
À quoi avez-vous renoncé ?
À pas grand-chose. Peut-être à la certitude qu’on reverra toujours les gens ou les lieux qu’on quitte.
D’où venez-vous ?
De Villejuif, c’est-à-dire de nulle part.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La notion de “dot” est indissoluble de celle de “mariage”, et particulière à la condition féminine. Je n’arrive pas à me définir via ce genre de choses.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
La sérénité.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
J’en ai beaucoup, même si j’adore me plaindre. Le top deux des petits plaisirs avouables : être dehors, de préférence sur mon vélo, pendant ce moment très particulier où l’air est idéalement tiède et immobile, et le ciel idéalement couvert. On sait qu’il va finir par pleuvoir mais, avant, on a droit à vingt minutes de perfection. Même chose pour cette heure des soirs d’été, pendant laquelle le ciel est bleu profond. Tout peut arriver.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Rien. Mais en littérature comme en amour, difficile d’envisager l’objectivité. Certaines rencontres résonnent, d’autres pas. J’espère juste que mes petites histoires auront l’occasion de faire résonner quelques lecteurs.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
Memling. Je passais des heures à contempler ce livre de reproductions, piqué clandestinement dans la bibliothèque de mon père — jamais les autres. Il me procurait une sorte d’apaisement. Plus tard, ça été au tour de Jérôme Bosch. J’aime toujours les primitifs flamands. Entre autres.
Et votre première lecture ?
Un bon petit diable de la Comtesse de Ségur. J’avais cinq ans et ne l’ai jamais relu depuis, mais je peux reconstituer, après coup, les jouissances sadiques que devait se procurer l’auteure à faire aussi systématiquement fouetter ses protagonistes.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Musiques du monde, rock progressif, jazz, nouvelle scène française. Tout ce qui traîne, même et surtout si c’est bobo, du moment que ce n’est pas du baroque. Mais en quantité, de moins en moins : je ne peux ni travailler ni écrire en musique. Et j’apprécie beaucoup d’entendre parler la radio.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
La seule question facile. “Fictions” de Borgès.
Quel film vous fait pleurer ?
Il n’y en a pas beaucoup, et ça me surprend toujours quand ça arrive. La dernière scène de “Dans la peau de John Malkovitch”. “Solaris” (celui de Soderbergh — l’original de Tarkovski est sur ma “to see list” depuis des années). Dernièrement, “Le sel de la Terre”. Un reste de bonne conscience humaniste.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Ma grand-mère, de plus en plus. “Les miroirs et la copulation sont abominables, parce qu’ils multiplient le nombre des hommes.”
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’ose toujours. Ma seule limitation est celle du temps, énorme, qu’il faut consacrer à une lettre, de sa rédaction à l’achat du timbre. Cette dernière opération peut prendre des semaines.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
J’ai beaucoup cherché : impossible de répondre à cette question. Chacune des villes que je connais a sa mythologie privée — pas d’échelle unidimensionnelle là non plus.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Un sentiment forcément non partagé : Emmanuelle Bayamack-Tam ? Eric Laurrent ? Jean Rolin, qui m’a piqué un titre, you bastard ? Le Echenoz des débuts, pour le côté scientifique ? À la voix, l’immense Catherine Ringer. À Beaubourg, Sophie Calle, pas pour son ego mais pour son voyeurisme assumé. J’ai toujours rêvé d’être femme de ménage pendant trois mois.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Deux ou trois cents ans ; ça suffirait peut-être.
Que défendez-vous ?
Le droit à choisir sa morale, et qu’on fouille dans mes affaires.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ah, l’Amour. Sans, on aurait économisé des milliards de tonnes d’encre et de papier, mais quel dommage. Dans le genre, le mot de Lacan est très réussi. De là à réellement tenter de cerner le concept, soyons sérieux…
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’adore. Je m’en suis beaucoup servi, mais avec l’âge, je prends de plus en plus de plaisir à utiliser la version “La réponse est non…”
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Vous auriez pu me demander laquelle des nouvelles de La fuite est un art lointain était la plus autobiographique – ce genre de questions qu’on pose souvent aux « jeunes » auteurs. Merci de ne pas l’avoir fait.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 7 février 2015
Catherine,
Pour solaris c’est quand tu veux, ou tu veux et comme tu veux.
Pour l’Amour, s’il le faut, j’aboyerai du moment que je revois l’Infini et la lumiere du papilon qui ornait ta robe.
Chère cousine,
J’ai lu avec plaisir cet entretien très intéressant J’ai tenu à t’en féliciter avec mes voeux de réussite de ta carrière littéraire.
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