Ce pavé de 700 pages se dévore en quelques heures à peine… Thomas Pynchon s’enthousiasmait à juste titre pour la prose délirante et incisive de Matt Ruff
Dans une Amérique future ravagée par un virus ayant exterminé la population noire, des androïdes remplacent les humains disparus et travaillent dur sans rechigner. Bon marché, fabriqués par une corporation dotée d’une Comptabilité Créative, ils sont parfaits. Sauf qu’une fille de féministe religieuse découvre un meurtre commis par un de ces domestiques, dont les inhibiteurs comportementaux auraient été modifiés. Et voici qu’elle part en croisade contre Harry Grant, son ex-mari qui fait construire une nouvelle tour de Babel dans ce qui reste de New York en 2023, et qui dirige la corporation fabriquant les fameux androïdes. Aidée par une femme vétéran de la guerre de Sécession et poursuivie par un grand requin blanc mutant ayant élu domicile dans les égouts, elle tente de remonter la piste et de trouver le génie trafiqueur de robots. Mais tout se complique lorsque Philo Dufresne, écolo-terroriste et capitaine du sous-marin à pois roses Yabba Dabba Doo, se met lui aussi à contrecarrer les plans capitalistes de Harry Grant. Quant à l’implication éventuelle de Disneyland dans ce drame, le mystère reste entier !
Déjà traduit en 2002 aux éditions du Masque, ce texte est marquant sur plus d’un plan. Matt Ruff a pris le parti d’une narration éclatée, pleine d’allées et venues entre quelques épisodes de l’histoire des Etats-Unis, le vingtième siècle et l’année 2023. L’auteur a aussi choisi de multiplier les protagonistes de second ordre et la liste du “registre social” placée en introduction se révèle nécessaire pour s’y retrouver dans les premiers chapitres ! Mais une fois accepté le pacte de lecture, tout va pour le mieux dans le style foisonnant de la narration. Les amateurs des Chroniques de San Francisco adoreront les grands débats pseudo-philosophiques à coups d’arguments anti-capitalistes et féministes. Les autres goûteront à l’intrigue principale qui sous-tend le récit et s’apparente à celle d’un bon polar.
Ce pavé de sept cents pages se dévore en quelques heures à peine, démontrant que Thomas Pynchon ne s’était pas trompé en s’enthousiasmant pour la prose délirante et incisive de Matt Ruff. Mais à tout livre dense ses défauts : il rebutera les allergiques à la politique et aux longs débats existentiels autour d’un cendrier plein. Gageons pourtant que les amateurs de science-fiction s’amuseront à débusquer tous les clins d’œil dont ce texte est bourré.
A lire, pour se détendre et plus si affinités.
anabel delage
Matt Ruff, Un requin sous la lune (traduit par Guillaume Fournier), Folio SF n°173, 2004, 717 p. — 13,50 €. |
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