Franco Ricciardiello, Aux frontières du chaos

Une jeune femme vit à plu­sieurs reprises de curieuses transes pro­vo­quées par L’Île des morts, le célèbre tableau de Böcklin

La ren­contre est géné­rée par un inci­dent — le grain de sable sur lequel les évé­ne­ments dérapent, bles­sant le conti­nuum de l’existence… Tan­dis qu’il visite le musée de Bâle, Nico, un jour­na­liste turi­nois paro­lier à ses heures, est amené à sou­te­nir une jeune femme, Vic, prise d’un malaise devant L’Île des morts, le célèbre tableau de Böck­lin. Le récon­fort d’une tasse de café et de quelques paroles échan­gées aidant, Vic finit par racon­ter l’étrange aven­ture qu’elle vient de vivre : la contem­pla­tion du tableau de Böck­lin l’a plon­gée dans une sorte de transe fugi­tive au cours de laquelle elle a eu l’impression d’être une des per­sonnes pré­sentes dans le bun­ker où Hit­ler vécut ses der­niers jours…

Dès lors vont se suc­cé­der toute une série de recou­pe­ments autour de cette oeuvre, au gré des nou­velles expé­riences “trans­tem­po­relles” de Vic, tou­jours cau­sées par L’Île des morts puis s’étendant au site où s’éleva jadis le der­nier bun­ker d’Hitler pour s’achever enfin à Flo­rence, sur la tombe même de Böck­lin. Vic dis­pa­raît, puis revient han­ter les jours de Nico tan­dis que la vie de celui-ci se pour­suit mais peu à peu éro­dée par l’inquiétante quié­tude de L’Île des morts et les aléas mys­té­rieux que connut ce tableau.

Les per­son­nages, les évé­ne­ments qu’ils tra­versent pénètrent de manière abrupte dans l’univers du lec­teur, qui face à ce texte est comme un pas­sant bous­culé par mégarde dans la rue. Pas de pré­li­mi­naires, pas de ces scènes d’exposition qui sou­vent ouvrent un récit et qui per­mettent aux pro­ta­go­nistes de s’avancer à pas plus ou moins comp­ter à la ren­contre du lec­teur. Une bru­ta­lité nar­ra­tive que viennent ren­for­cer encore les phrases courtes et l’emploi quasi exclu­sif du pré­sent de l’indicatif, pro­cé­dés qui confèrent au récit un rythme syn­copé le pri­vant de toute épais­seur tem­po­relle, de toute consistance…

Une nar­ra­tion qui a la ténuité d’un voile, offrant une suc­ces­sion d’épisodes lâches qui sur­viennent avec l’immédiateté d’une pen­sée non contrô­lée se jetant sur tout ce qui se pré­sente à elle. Au fond, c’est la sen­sa­tion confuse que ce roman n’obéit à aucun des codes roma­nesques habi­tuel­le­ment en vigueur qui dérange tant. Et pour cause. L’auteur — il s’en explique dans une inter­view dont un extrait est retrans­crit à la fin du livre — a voulu appli­quer les prin­cipes d’une théo­rie mathé­ma­tique à la com­po­si­tion lit­té­raire : […] bref, la struc­ture nar­ra­tive d’Aux fron­tières du chaos repose sur une métho­do­lo­gie scien­ti­fique, les mathé­ma­tiques du chaos.

Les habi­tudes nar­ra­tives bas­culent comme la conti­nuité tem­po­relle ou psy­cho­lo­gique pen­dant les transes de Vic : l’expérience que consti­tue la lec­ture de ce livre se situe, elle aussi, “aux fron­tières du chaos”. Mais le comble de l’expérience chao­tique n’eût-il pas été de lais­ser le lec­teur à son desar­roi, de lui livrer le récit tel quel, sans que figure à la fin cette “pré­sen­ta­tion de l’auteur” ou cet extrait d’interview où Franco Ric­ciar­dello donne cer­taines des clefs de son roman ?…

isa­belle roche

   
 

Franco Ric­ciar­diello, Aux fron­tières du chaos (tra­duit par Jacques Bar­béri), Flam­ma­rion “Ima­gine”, 2001, 210 p. — 12,96 €.

 
     

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