Une jeune femme vit à plusieurs reprises de curieuses transes provoquées par L’Île des morts, le célèbre tableau de Böcklin
La rencontre est générée par un incident — le grain de sable sur lequel les événements dérapent, blessant le continuum de l’existence… Tandis qu’il visite le musée de Bâle, Nico, un journaliste turinois parolier à ses heures, est amené à soutenir une jeune femme, Vic, prise d’un malaise devant L’Île des morts, le célèbre tableau de Böcklin. Le réconfort d’une tasse de café et de quelques paroles échangées aidant, Vic finit par raconter l’étrange aventure qu’elle vient de vivre : la contemplation du tableau de Böcklin l’a plongée dans une sorte de transe fugitive au cours de laquelle elle a eu l’impression d’être une des personnes présentes dans le bunker où Hitler vécut ses derniers jours…
Dès lors vont se succéder toute une série de recoupements autour de cette oeuvre, au gré des nouvelles expériences “transtemporelles” de Vic, toujours causées par L’Île des morts puis s’étendant au site où s’éleva jadis le dernier bunker d’Hitler pour s’achever enfin à Florence, sur la tombe même de Böcklin. Vic disparaît, puis revient hanter les jours de Nico tandis que la vie de celui-ci se poursuit mais peu à peu érodée par l’inquiétante quiétude de L’Île des morts et les aléas mystérieux que connut ce tableau.
Les personnages, les événements qu’ils traversent pénètrent de manière abrupte dans l’univers du lecteur, qui face à ce texte est comme un passant bousculé par mégarde dans la rue. Pas de préliminaires, pas de ces scènes d’exposition qui souvent ouvrent un récit et qui permettent aux protagonistes de s’avancer à pas plus ou moins compter à la rencontre du lecteur. Une brutalité narrative que viennent renforcer encore les phrases courtes et l’emploi quasi exclusif du présent de l’indicatif, procédés qui confèrent au récit un rythme syncopé le privant de toute épaisseur temporelle, de toute consistance…
Une narration qui a la ténuité d’un voile, offrant une succession d’épisodes lâches qui surviennent avec l’immédiateté d’une pensée non contrôlée se jetant sur tout ce qui se présente à elle. Au fond, c’est la sensation confuse que ce roman n’obéit à aucun des codes romanesques habituellement en vigueur qui dérange tant. Et pour cause. L’auteur — il s’en explique dans une interview dont un extrait est retranscrit à la fin du livre — a voulu appliquer les principes d’une théorie mathématique à la composition littéraire : […] bref, la structure narrative d’Aux frontières du chaos repose sur une méthodologie scientifique, les mathématiques du chaos.
Les habitudes narratives basculent comme la continuité temporelle ou psychologique pendant les transes de Vic : l’expérience que constitue la lecture de ce livre se situe, elle aussi, “aux frontières du chaos”. Mais le comble de l’expérience chaotique n’eût-il pas été de laisser le lecteur à son desarroi, de lui livrer le récit tel quel, sans que figure à la fin cette “présentation de l’auteur” ou cet extrait d’interview où Franco Ricciardello donne certaines des clefs de son roman ?…
isabelle roche
Franco Ricciardiello, Aux frontières du chaos (traduit par Jacques Barbéri), Flammarion “Imagine”, 2001, 210 p. — 12,96 €. |
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