Quelles valeurs les superhéros, qui font le bonheur des USA en les protégeant de tous les dangers, veulent-ils défendre, propager, sacraliser ? Et s’ils n’étaient pas ceux que l’on imagine, ceux auxquels il faut croire ? De quelles idéologies, alors, se réclament-ils ?
À l’avant-première de Perverses en chaleur, Lyn doit fuir des manifestants menés par Jacky Core, instigatrice d’une mouvance puritaine dure. Alors qu’elle est en voiture avec son ami, un homme se jette sur leur véhicule et provoque un accident. C’est le Charpentier. Il s’approche, fait la morale à la jeune femme mais la laisse mourir dans l’épave en feu.
À Moscou, quelques mois plus tard, des soldats ébahis regardent une très belle jeune femme s’entraîner. Vera les surpasse dans tous les sports. Elle rejoint Georg, son officier traitant qui lui offre le cadeau du Parti, une Traban rutilante, pour récompenser la réussite de sa dernière mission. Cependant, elle préférerait : “Une caisse de vodka et trois jours à pioncer.“
Sa permission est de courte durée. Sur ordre du camarade Brejnev, elle doit se rendre aux Etats-Unis pour contrer l’idéologie développée par Jacky Core. Sous une couverture de super-héroïne, elle doit se faire aimer du public et empêcher l’élection de l’égérie du puritanisme. Si celle-ci entrait au Congrès, la Guerre Froide se réchaufferait. Vera arrive en Californie sous l’identité d’Alabama Jane. Elle se fait embaucher par un metteur en scène de films pornographiques et commence sa mission en déployant ses nombreuses, mais pas toujours opportunes, capacités de superhéroïne.…
S’inspirant du climat puritain qui, bien qu’il ait toujours régné aux USA, prend de plus en plus d’importance, Xavier Dorison imagine une idéologie obligée d’employer des moyens qu’elle réprouve pour se défendre, pour inverser une tendance au rejet total. Le scénariste reprend l’univers des superhéros, et celui du cinéma, pour placer une histoire riche en sous-entendus, en réflexions sur les sociétés américaine et russe. Il montre, en grossissant le trait, allant presque à la caricature, l’abîme qui séparait ces deux modes de vie dans les années 1970. Il s’appuie sur l’atmosphère qui pouvait régner dans l’Amérique profonde, reprend les idées véhiculées par les ténors d’un puritanisme hypocrite, tremplin d’une forme de pouvoir. Parallèlement, il détaille le monde du cinéma à travers les péripéties vécues par l’employeur de Vera, la forme apparemment plus libre de ce monde qui est, cependant, soumis à nombre de diktats, le premier étant celui de la finance.
Avec des dialogues pétillants, des situations comiques ou incongrues basées sur des faits réels portés au second, voire à un troisième degré, le scénariste offre un récit humoristique en diable. On se régale des trouvailles cocasses et des pirouettes avec la morale effectuées par certains acteurs d’une galerie agréablement fournie en personnages aux caractères finement étudiés.
Le dessin de Terry Dodson, qui bénéficie d’une solide réputation de créateur d’héroïnes aux formes épanouies, est tonique. Certes, il a été formé à la réalisation de comics où le dynamisme du graphisme prévaut souvent sur la richesse du scénario. Mais il sait offrir des planches magnifiques, plus attractives dans les détails qu’elles n’y paraissent au premier abord.
Ce premier tome laisse augurer d’une suite fort bien élaborée, au récit solide et humoristique avec un graphisme qui a tout pour plaire.
serge perraud
Xavier Dorison (scénario), Terry Dodson (dessin et couleur), Rachel Dodson (encrage), Red Skin, t.1 : “Welcome to America”, Glénat, coll. “Grafica”, septembre 2014, 64 p. – 14,95 €.