Mû par un amour hors du commun, Richard C. Collier va traverser le temps pour rejoindre sa bien-aimée
Richard C. Collier est décédé prématurément à 36 ans. Son frère Robert fait publier le journal que Richard a tenu à la fin de sa vie, non par révérence fraternelle mais pour léguer à la postérité une histoire d’amour en tous points hors du commun.
En novembre 1971, donc, Richard Collier, atteint d’une tumeur au cerveau incurable, part au hasard sur les routes après avoir confié à une pièce de monnaie le soin de lui indiquer la direction à suivre. Plus rien à espérer, rien d’autre à faire que de jouir du répit que laissent parfois les migraines. D’un style elliptique, télégraphique, allant au rythme des pensées qui lui traversent l’esprit, le narrateur rend compte du paysage, des aléas de la circulation, de ses menus faits et gestes. Les verbes se succèdent, se bousculent, mûs par une urgence chaotique ; puis les phrases s’étoffent, l’écriture change à la faveur d’une photographie, le portrait d’Elise McKenna, célèbre actrice de théâtre du début du XXe siècle.
Jouant un rôle analogue à bien des miroirs dont les reflets sont autant d’invites à rejoindre un “autre côté” aussi imprécis qu’attirant, le portrait suscite en Richard un amour éperdu. Image radicalement sécante puisqu’en induisant un sentiment nouveau elle entraîne du même coup Richard vers un voyage tout aussi nouveau. Car c’est rien moins qu’un voyage dans le temps qu’il va entreprendre pour rejoindre sa bien-aimée. Et quel voyage : sans machine ni engin d’aucune sorte, il quitte 1971 pour 1896 à seule fin d’être auprès d’Elise. Dès lors le récit se mue en un roman d’aventures où les péripéties — parfois franchement cocasses — se succèdent allègrement, au gré d’une écriture mêlant les observations quasi ethnologiques de l’étranger en voyage d’étude, le lyrisme de l’amoureux transi, et les traits d’humour inhérents aux maladresses commises par un homme de 1971 peu rompu aux usages de 1896. Pourtant il n’est pas une phrase derrière laquelle on ne sente la ténuité du fil qui attache Richard à 1896, pas un passage où l’on ne saisisse l’rréductible fragilité de sa présence en cette année-là. Et jusqu’au bout l’issue de ce voyage demeure incertaine…
Cautionné par la note et le post scriptum de Robert Collier, le récit de Richard est-il l’ultime fanfaisie d’un condamné à mort qui refuse de mourir sans avoir connu l’amour vrai, ou bien une aventure proprement fantastique au sens où elle fait brèche dans le quotidien ? Toute la force du roman de Richard Matheson est justement de ne jamais lever l’ambivalence, laissant toute liberté au lecteur de choisir, selon ses inclinations, entre le rêve puissance n, l’hallucination provoquée par la tumeur, ou le voyage dans le temps au sens le plus premier, le plus immédiat, de l’expression.
isabelle roche
Richard Matheson, Le jeune homme, la mort et le temps (traduit par Ronald Blunden), Folio SF, 2000, 338 p. — 5,30 €. |
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