Un maître dans l’art de saisir toute l’ambivalence contenue dans l’être
Le Grand Chalet — initialement baptisé la «Grande Demeure» — fut la dernière maison de Bathus. En 1852, l’édifice fut transformé en hôtel où séjournèrent Victor Hugo ou Alfred Dreyfuss. Balthus venait y prendre le thé. La maison le fascina à tel point qu’il décida de l’acheter. Le Grand Chalet devint un lieu de pèlerinage pour les admirateurs de Balthus : Henri Cartier-Bresson et son épouse Martine Franck, Alberto Giacometti, Richard Gere, Bono, le Dalaï Lama, Riccardo Mutti, Zubin Mehta et David Bowie s’y succédèrent.
Le chanteur anglais a d’ailleurs réalisé des entretiens avec Balthus publiés par plusieurs revues. Aujourd’hui, le domaine est le siège de la fondation Balthus. La comtesse Setsuko son épouse en a fait un musée dédié à la mémoire de son époux. L’ancien atelier du peintre est la pièce la plus fascinante du Gand Chalet. Il n’est pas sans rappeler une cellule monacale (de l’appartement du peintre à Paris) ou un temple. Y reposent encore les œuvres inachevées de l’artiste. Balthus vécut là l’ultime nuit de sa vie, en 2001, en présence de son épouse Setsuko et sa fille : «Nous parlions peu mais nous partagions des instants d’une profonde beauté» rappelle la veuve de celui qui figure parmi les plus grands artistes du 20e siècle.
Jusqu’à sa mort Balthus poursuivit une « chronique » picturale à cheval sur deux mondes. Il a trouvé les images pour suggérer ce sentiment exogène en « imageant » des vies qui, si elles ne confondent pas avec l’existence de l’artiste, créent un songe — une mythologie. Celle-ci pose la question de la peinture et son enracinement. Entre 1936 et 1939, Balthus réalisa les célèbres séries de portraits de Thérèse Blanchard, sa jeune voisine à Paris. Elle y posait souvent seule ou avec son chat. En Suisse il substitua à l’austère décor des intérieurs colorés dans lesquels des nymphettes s’adonnaient à leur rêverie.
Balthus devint un maître dans l’art de saisir toute l’ambivalence contenue dans l’être et plus particulièrement celui de la femme encore adolescente ou enfant. Pensives, ses jeunes filles à peine écloses ont souvent comme seul compagnon de jeu le chat. Il peut au besoin rameuter une présence « adulte ». Dans un travail rplastiquement riche et ténébreux, Balthus s’est amusé à transformer le fier étalon mâle en chat. Cette métamorphose accentue la fiction narrative des toiles. Le chat démultiplie le masculin dans un fantastique jeu de miroirs. Il introduit un rire alimenté par la transgression et une imagerie de contes enfantins. La nudité féminine offerte à ceux qui ne pense qu’à « chat » ne s’oppose pas à leur volonté affichée mais la double d’un “malin” plaisir. Celles qui se laissent regarder provoquent à la fois le trouble et le rire selon des rackets figuratifs loin de l’érotisme de façade.
jean-paul gavard-perret
Balthus, Rétrospective, 14 janvier – 28 février, Gagosian, Paris