Tenir un crayon est parfois le métier le plus dangereux du monde, constatation d’une actualité bien tristement brûlante. Cependant, il y a écrits et écrits et Robert Galbraith place son détective dans un milieu littéraire où tout n’est pas bon à dire, ni… à écrire.
Sur un coup de tête, Cormoran Strike vire un bon mais vindicatif client pour s’intéresser à la sollicitation de Leonora Quine, une dame bien peu fortunée. Owen, son mari, un écrivain, n’est pas reparu depuis dix jours. Bien qu’il soit coutumier du fait, elle s’inquiète et craint le pire. Après un questionnement serré, elle pense à une installation dans une maison pour écrivains. Elle a entendu un éditeur parler en bien de cet endroit, mais ignore tout de l’adresse, son mari ayant refusé de la lui donner. Strike remonte alors la piste. Il rencontre la maîtresse de Quine, qui lui voue une haine solide, son agent, l’éditeur qui a donné l’adresse. Peu à peu émerge le portrait d’un homme égotiste, narcissique, prêt à tout pour réussir, utilisant les uns et les autres aux mieux de ce qu’il considère comme ses intérêts.
Son nouveau manuscrit, Bombyx Mori, est si polémique que son agent refuse qu’il soit publié. C’est par hasard, lors d’un repas, que le détective apprend que Quine et un autre auteur ont hérité de la maison d’un romancier américain. Leonora affirme qu’il n’y a jamais mis les pieds. Cormoran récupère les clés chez les Quine et découvre une demeure vieillotte à l’intérieur saccagé. Dans une pièce, le cadavre d’Owen, vieux de plusieurs jours, trône dans une mise en scène particulièrement macabre.
Qui a tué et pourquoi ? Cormoran se lance alors dans une enquête où les chausse-trappes ne manquent pas…
Avec Strike, Robert Galbraith (pseudonyme de J.K. Rowling) reprend les poncifs du genre avec le personnage du privé qui vit dans des conditions précaires. Cependant, depuis la résolution de la précédente affaire, contée dans L’Appel du Coucou (Grasset – 2013) la situation financière de son héros s’est nettement améliorée. Mais il continue de vivre simplement dans son minuscule logement au-dessus de son bureau.
L’auteur sait humaniser cet ancien soldat mal embouché en lui donnant un passé difficile et une invalidité physique très handicapante. De plus, elle en fait le fils naturel d’un célèbre chanteur qui n’a reconnu sa paternité que contraint et forcé. Mais cette filiation masque sa réelle personnalité, la plupart des gens s’intéressant à Cormoran en tant que fils d’une célébrité, célébrité qu’il n’a rencontrée que deux fois dans sa vie. Il porte, suite à une blessure de guerre, une prothèse de jambe qui le fait souffrir lorsqu’il n’a pas le temps de se ménager, c’est-à-dire presque constamment, et qui est source de bien des soucis.
L’auteur développe, avec Robin, la secrétaire du détective, un personnage intéressant par les efforts de la jeune femme pour tenter de rapprocher les deux hommes, son fiancé, qui déteste le détective, et ce dernier qui est qu’indifférent. Les possibilités et la richesse de son caractère autorise des évolutions séduisantes. La romancière prend pour cadre de son livre la ville de Londres, décrivant les lieux, les parcours de son détective qui se déplace principalement en métro. Elle signale, ainsi, les éléments remarquables de la ville comme, par exemple, la station Hammersmith, un petit bijou d’architecture avec un fronton Art nouveau.
Le Ver à Soie est un pur roman de détection, dans la meilleure veine du whodunit, qui se lit avec plaisir pour la galerie de personnages, une intrigue tortueuse menée avec brio, la relation d’un univers et la visite d’une cité remarquable à de nombreux points de vue.
serge perraud
Robert Galbraith (J.K. Rowling), Le Ver à Soie (The Silkworm), traduit de l’anglais par Florianne Vidal, Grasset, octobre 2014, 576 p. – 21,50 €.