La photographe et ses modèles
Les photographies de Lnor prouvent que le corps est une matière ailée et que celui de ses modèles a une âme. Les égéries de l’artiste en leurs poses deviennent des méduses que la Mélusine offre hiératiques, souveraines loin des normes sociales ou physiques. La photographe ne leurs demande pas d’être belles, jeunes, maigres. Tant mieux si elles le sont, mais elle leur demande d’habiller leur corps. En ce sens et comme le titre l’indique, elles ont « le sang froid ». Pourtant la chaleur n’est jamais loin. Intenses et gothiques, les prises font ce que les mots ne font pas là où la pose n’expose pas le corps mais « suspend sa nudité ». La surprend au besoin, mais ce n’est pas le sujet.
Chaque femme est un exil. Le regardeur rêve parfois que l’une d’elles s’adresse à lui et lui dise : “ je voudrais aller plus loin avec toi ”. Mais l’illusion est de courte durée. Elles ont bien mieux à faire. La photographe aussi. Devant un mur ou sous un ciel blanc fondu, l’homme ne possède pas la substance suffisante pour intéresser les belles inconnues. Mais il trouve dans ces photographies des lignes plus vives que la vie. Surgissent des premiers matins du monde comme nostalgies du crépuscule.
Parfois, la photographe s’agenouille. Parfois, c’est son modèle. Au fond des lieux le silence se fait loin des matins vaisselle. Il y a là des aller-retour, des temps de prises, des temps d’arrêts. Le paysage est secondaire, seul le corps détourne le fini. L’image reste un doute, le corps aussi. Le regard existe entre les deux. La photographie crée le miroir. Le miroir est l’image de l’image. Il est des jours où Lnor y renonce — parce qu’il y a une erreur au fond et une autre à la surface. Entre les deux l’absence, l’écorce éraflée d’un corps impossible et dont personne ne peut triompher.
Mais que fait la photographe sinon de creuser des sources, de creuser le corps, sa trace et son absence ? Elle file aussi bien le réel et le songe. Dans chaque prise il y a une femme qui raconte son histoire à la nuit.
jean-paul gavard-perret
Lnor, Sang froid, Les Ames d’Atala, Lille, 2014, 144 p.