Elle — telle que Guesdon l’écrit — reste cernée par les points virgules, les détails et les poses. Les interstices aussi. Les « voire » qui renvoient à l’invisible. Qui renvoient aussi le scripteur à sa propre vanité, à son vide :
« Elle, interdite. Pour ceux du présent où s’ouvre en péril.
Il regarde dehors puis retourne au miroir. Elle le voit
alors en elle sans corps. »
Une telle femme aime sans doute l’odeur du cuir et les caprices restent sa grande affaire. Elle parle puis rit peut-être mais bien vite ne demeure que le doute sur ce qui pourrait la saisir :
« Vu de la meurtrière, le pas de porte est désert. »
Les gestes engagés font des taches exquises :
« De nouveau plus sombre et flou, d’un fond uni de loin,
l’image de sa main passe devant le champ de masses rouges et beiges »
Le narrateur est à peine une mouche qui passe à côté d’elle et se pose sur une cuillère pour la rendre fixe et éternelle. Tout compte fait, il la laisse puisque les cuillères (argentées ou non) et comme la femme ne servent à rien et ne passet pas dans le lave-vaisselle . “Elle” fait de même avec la poussière, ses ongles et ses rêves.
Ecrire, c’est l’attendre ou attendre. Voire moins… Puisque après tout un tel suspense impose une nécessité qu’elle ne refuse jamais. Le lecteur peut imaginer que son cœur la guide mais cela ne règle en rien sa vie : d’autant que le narrateur en face d’elle (ou presque) reste toujours ailleurs. Il en parle parfois comme si elle était morte. Il se met à écrire pour la rêver. Elle se perd dans ses songes parmi des portes, des guillemets et de petits rongeurs. Les pommes Granny Smith apporteraient leur vert à sa mémoire. Mais ne restent que les lignes subtiles à la limite des choses qui ne peuvent ni se dire, ni se montrer.
C’est là. Mais l’égérie s’en fiche et ne prononce que des lettres minuscules avec un bruit de graines, de claves et d’ustensiles en cuivre. Sa litanie prend forme d’une dérive muette. Il y manque juste des oignons et un accent. Car il existe pour elle des choses dont elle ne se souvient pas et qui ne sont peut-être jamais arrivées. Mais dès que l’auteur en parle, elles se passent avant de se faner une dernière fois.
jean-paul gavard-perret
Maël Guesdon, Voire, Corti, Paris, 2015, 88 p. - 14,00 €.