Sergio Luzzatto, Le corps du Duce. Essai sur la sortie du fascisme

Le corps du Duce

Le régime fas­ciste relève, selon la typo­lo­gie célèbre de Max Weber, du régime cha­ris­ma­tique, fondé sur la fas­ci­na­tion exer­cée par le Chef, en l’occurrence Benito Mus­so­lini. De fait, le verbe du dic­ta­teur contient un souffle mobi­li­sa­teur puis­sant mais son corps, lui aussi, prend une dimen­sion par­ti­cu­lière. Le Duce, on le sait, a connu une fin bru­tale, exé­cuté par des résis­tants com­mu­nistes. Mais une fois mort, son corps, ainsi que celui de sa maî­tresse Clara Petacci, sont outra­gés, pié­ti­nés, pen­dus par les pieds et expo­sés à une foule sor­tie des temps les plus obs­curs.
C’est sur ce corps que se penche Ser­gio Luz­zatto dans un essai dense mais très inté­res­sant. Que le corps vivant de Mus­so­lini soit l’objet d’une véné­ra­tion est une évi­dence pour un régime fondé sur le culte de la per­son­na­lité. Cela dit, cette « ado­ra­tion » conduit à jeter l’opprobre sur ceux qui attentent à son inté­grité ou qui tentent de le faire. Déjà le corps de l’un de ses « ter­ro­ristes », lyn­ché par la foule, faillit être pendu et exposé. L’auteur insiste beau­coup sur la géné­ra­li­sa­tion lors de la guerre civile des outrages faits aux cadavres (aussi bien ceux des résis­tants que des fas­cistes de la RSI), lais­sés à l’air libre pour ser­vir d’exemple, aban­don­nés aux vues de la popu­la­tion et sans sépul­ture. Le corps de Mus­so­lini ne fait donc pas exception.

Pour­tant, ce corps n’est pas comme les autres. Il reste celui du Duce. Tout le livre tourne donc autour de la ten­ta­tive de sous­traire les restes de l’ancien dic­ta­teur de sa tombe, aven­ture rocam­bo­lesque qui se ter­mina par une mise au secret du cadavre, avant sa res­ti­tu­tion à sa famille en 1957. Cet enlè­ve­ment prouve bien que ce corps demeure excep­tion­nel. Mus­so­lini a beau­coup trop impré­gné l’histoire de son pays pour que sa mort signe son oubli pur et simple. « Privé de vie, le corps du Duce demeure un acteur de l’histoire » écrit Luz­zatto.
Cela dit – et c’est un para­doxe –, les ter­ribles évè­ne­ments de la place Loreto subissent une sorte de tabou, tan­dis que le PCI cache soi­gneu­se­ment le nom véri­table de l’assassin de Mus­so­lini jusqu’à ce que la presse néo-fasciste ne le révèle. La mémoire de cette macabre mise en scène devait res­ter dis­crète, et l’expression de la nation résis­tante plu­tôt que celle du PCI.

Quoi qu’il en soit, les vicis­si­tudes de ce cadavre démontrent la place par­ti­cu­lière que le fas­cisme et son chef conservent dans la mémoire ita­lienne, le poids qu’ils conti­nuent d’exercer sur la vie poli­tique, comme si le fan­tôme errait encore sur la péninsule…

fre­de­ric le moal

Ser­gio Luz­zatto, Le corps du Duce. Essai sur la sor­tie du fas­cisme, Gal­li­mard, octobre 2014, 354 p. - 28,00 €

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