Elcke de Rijcke, Quarantaine

Vertige de l’amour

Au sen­ti­ment par­fait de l’amour que la femme porte à l’homme répond un écho où par­fois l’élan se pro­longe mais par­fois où le vide se crée. L’amour fait à la fois la lumière au milieu de la nuit dans la chambre où tout est noir, mais il peut deve­nir la par­faite ténèbre lorsque la femme est déca­pi­tée dans le lieu où ne per­siste que l’ombre de ce qui fut. Vac­ci­née d’une cer­taine façon par ce qu’elle nomme son « jour­nal de « dés­éman­ci­pa­tion » dans son pré­cé­dent Vàas­teràs, Elke De Rijcke avec Qua­ran­taine  ouvre encore plus les yeux. Elle enfonce le regard très loin pour être sûre d’être au fond de la volupté non par le sans-règle, la cruauté d’une famine, un maso­chisme sans espoir (qui rap­pellent à cer­tains le goût inson­dable de Dieu pour les dou­leurs déli­cieuses) mais par un exer­cice de luci­dité entre deux types de ren­contres amou­reuses : celle de l’Ami dans une ren­contre qu’on nom­mera pla­to­nique, celle de l’homme de chair.

Les deux ne désho­norent en rien « l’égarement » de celle qui s’y retrouve humaine en met­tant de l’âme dans le corps et de la chair dans l’échange plus spi­ri­tuel. Cette plon­gée en l’intime de la poé­tesse devient péné­trante et sub­tile par la force d’une écri­ture ful­gu­rante à la fois simple et com­plexe. Les états amou­reux évo­qués ne sup­posent plus l’évanouissement de la réa­lité du monde mais des méta­mor­phoses. L’Ami d’esprit reste « le large du noyé », il « paraît d’un vert lim­pide », preuve qu’il est saisi sinon par le sexe du moins par la sen­sa­tion. L’anéantissement que pro­duit l’amour se trouve remisé à tra­vers des ins­tants qui ne sem­ble­ront plus absurdes, soit par une « consom­ma­tion », soit par une contem­pla­tion. Les deux accep­tées comme telles sans que pour autant qu’elles perdent leur aspect fié­vreux.
Rare­ment l’échange amou­reux est for­mulé de manière si com­plexe et cap­tieuse. Dégagé de toute mys­tique du péché ou autre sor­nette, il n’ajoute pas la tem­pête à la dis­cor­dance de l’esprit. Il émet une mul­ti­tude dont cha­cun de nous est fait et prouve que l’érotisme ter­restre quelle qu’en soit la forme dégrade moins l’être que le sacré. L’obscurité qui par­fois tombe du pre­mier n’est pas celle de l’anéantissement mais celle de la jouis­sance. Celle du jour ou de la nuit en une volupté faite par exer­cice de len­teur ou de rapi­dité, d’attente ou de délivrance.

Soudain nous ne domi­nons plus rien. Preuve qu’à la phi­lo­so­phie il convient de pré­fé­rer les pro­po­si­tions expi­rantes du plai­sir amou­reux. Celui-ci ouvre à l’illusion d’un ave­nir incon­nais­sable et se fonde sur notre igno­rance retrou­vée de ce que nous sommes. A condi­tion tou­te­fois et comme le fait Elke de Rijcke que notre igno­rance soit « assu­mée » pour ne pas tom­ber dans la dépres­sion inhé­rente à la pensée.

jean-paul gavard-perret

Elcke de Rijcke, Qua­ran­taine, Tara­buste édi­teur, Saint Benoît du Sault, 2014, 91 p. — 11,000 €.

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Filed under Erotisme, Poésie

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